A SON IMAGE - Thierry de Peretti
Mélancolie de la lutte
En adaptant un roman de Jérôme Ferrari, le réalisateur Thierry de Peretti revient pour la troisième fois en Corse. Mais, et il s’agit d’une première, il choisit un personnage principal féminin. Une photographe, Antonia, dont le parcours dans les années 1980 et 1990 éclaire différemment l’histoire politique mouvementée de l’île de Beauté.
Que restait-il encore à raconter de la Corse pour Thierry de Peretti ? Le réalisateur a son île dans le sang et devant la caméra depuis son tout premier long-métrage, Les Apaches (2013). Il en a exploré encore une fois les ambiguïtés et la brutalité dans Une vie violente (2017) avant de s’en éloigner pour le remarqué Enquête sur un scandale d’État (2022). Il faut croire que le cinéaste n’en avait pas terminé avec l’histoire houleuse et douloureuse d’une révolte politique toujours grondante. Mais son quatrième long-métrage, À son image, possède au moins deux aspects inédits. D’abord, il s’agit de l’adaptation d’une fiction de Jérôme Ferrari. D’autre part, le personnage principal est une femme. Antonia ne rêve que de deux choses. En premier lieu, de photographie, depuis que son parrain (un prêtre joué par Peretti lui-même) lui a offert un appareil. Ensuite, de Pascal, un grand brun taiseux, ténébreux, membre du FLNC, ce qui semble presque être un pléonasme. L’histoire se déroule dans les années 1980-1990, Pascal prend souvent les armes. Et part souvent en prison.
À son image n’est pas la chronique politique de cette époque. Comme toujours, Thierry de Peretti s’éloigne du didactisme pour lui préférer l’intime. Et cet intime-là, assurément, il ne l’avait pas encore intégralement montré dans son cinéma. Que peut-on espérer quand on est la copine (enfin non, pardon, en Corse, on dit déjà « la femme ») d’un homme qui passera sa vie, c’est écrit, à faire des aller-retours en prison ? À part attendre le moins longtemps possible qu’il revienne ? Plus elle avance dans la photographie, qui lui permet à la fois de s’approcher des événements et de les mettre à distance, plus Antonia réalise que cet avenir n’est pas celui qu’elle se souhaite. Que les clichés dans Corse-Matin ne lui suffisent pas non plus. Qu’il lui faut partir, voir du pays, même si on lui a toujours appris que le regard ne pouvait pas se porter trop loin à l’horizon.
C’est cette ambition que Thierry de Peretti filme avec l’exigence qui le caractérise. On ne peut qu’admirer la maîtrise de ses longs plans qui demandent des heures de préparation, de ses cadres au cordeau et de sa direction d’acteurs (tous d’une grande justesse alors qu’il s’agit, dans leur vaste majorité, à commencer par la lumineuse Clara-Maria Laredo, de non-professionnels). Qu’admirer, aussi, sa faculté à marcher sur une ligne de crête, en montrant ce que la lutte politique peut avoir de respectable, de sincère et même de romantique, mais aussi de pathétique et de renfermé.
À son image fonctionne sur une tonalité ascétique qui pourrait être froide si le cinéaste n’avait pas aussi à son arc la corde de la mélancolie. Elle abreuve le film d’abord parce que, c’est montré dès la scène d’ouverture, Antonia est morte et n’a pu accomplir son destin. Mais aussi parce que les personnages du film traversent les événements avec toujours un train de retard, se heurtant à la catastrophe ou à la rupture sans avoir pu l’anticiper, assistant à l’avancée du monde sans comprendre ni en tirer des leçons. Tout se répète chez Peretti, et même les scènes de liesse restent à la lisière du chagrin, comme autant de sursis avant la chute.
MARGAUX BARALON