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ABOUT KIM SOHEE - July Jung

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Le désespoir de toute une génération

L’enquête la plus glaçante de ce printemps vient de Corée et ce n’est même pas un polar.

Kim Sohee n’est pas une lycéenne très calme. Si elle est présentée comme une élève studieuse, elle se distingue aussi pour son impulsivité et sa ténacité. Son lycée lui attribue un jour un stage obligatoire dans son cursus, au sein d’une centrale d’appel. Elle se retrouve, sur papier, chargée des résiliations mais fait plutôt face à un système qui met toujours les employés en concurrence pour rémunérer moins, tout en les poussant  à vendre toujours plus. De ce postulat, on imagine aisément soit les grands violons face à l’injustice sociale, soit une (ou, en l’occurrence, deux) protagonistes éprises de justice, qui mènent un noble combat avec de grands discours moralisateurs. La force de About Kim Sohee est de n’être jamais totalement l’un, jamais totalement l’autre.

La structure du film, en deux parties (l’une avec la jeune Si-eun Kim, l’autre avec Doo-na Bae) et sa tendance à faire énormément vivre les personnages secondaires est surprenante. Elle pourrait paraître bancale si, au fur et à mesure, elle ne tissait pas la toile de plus en plus sombre de toute une jeunesse sacrifiée au nom de la productivité. Si c’est bel et bien Sohee qui concentre la première partie du film, le récit de sa meilleure amie, streameuse de mukbang apparaît rapidement en filigrane. L’adolescente vit de lives dans lesquels elle s’empiffre de nourriture, présentant chacun de ses orgies comme une dernière, avant de vomir une fois la caméra coupée, puis recommencer pour créer une nouvelle vidéo. Ce n'est pas une fantaisie provocatrice puisque le mukbang existe et ses dérives sont bien réelles.

Tous les jeunes proches de Sohee sont ainsi des personnages secondaires extrêmement présents - existants. La narration est plus habile qu’elle en a l’air et même s’il faut du temps pour la comprendre, elle présente directement l’impossibilité de quitter le système dans lequel ils se sont tous, malgré eux, engagés. Lorsque les jeunes ne sont pas moralement harcelés chez un sous-traitant de troisième rang et lorsqu’ils démissionnent d’un travail harassant et de la violence inter-employés d’une usine, ils survivent comme ils peuvent. L’héroïne est un individu à part entière mais tout son entourage, par leur omniprésence constante dans l’œuvre, fait l'effet d’une masse similaire, celle d’employé.es interchangeables. 

Lorsque le personnage de Doona Bae fait, dans la seconde partie du film, son apparition en tant que policière déterminée, le ton ne change pas pour autant. Il n’y a aucune rupture et il n’y en aura d’ailleurs pas du tout, parce que ce que About Kim Sohee montre n’est autre que le désespoir. La fameuse Sohee devient un de ces personnages secondaires, comme ses amis l’ont été. 

À l’image de la jeune streameuse confidente de l’héroïne, d’abord simple amatrice de tripes grillées, About Kim Sohee ne dévoile pas immédiatement le drame qu’il contient. Tout n’est pas montré, au contraire, il faut souvent faire preuve de déduction, lire entre les lignes et les rayons du soleil couchant - motif qui apporte une réminiscence magique. C’est de manière insidieuse que la noirceur apparaît, à travers une forme très austère, dont la brutalité rappelle le Moi, Daniel Blake de Ken Loach, une bonne dose de pathos et un caractère ultra-militant en moins. Le film est aussi l’observation d’une santé mentale fortement dégradée chez trop de jeunes sud-coréens. Écrasés entre le besoin de survivre, les troubles inhérents à l’adolescence, la pression sociale et la quête absolue de la productivité, on sait, même si on ne voit pas tout, que tout cloche un peu. Fidèle à sa ligne, About Kim Sohee se refuse toujours au misérabilisme et ne bascule jamais dans la caricature.

Pourtant, dans cet univers impitoyable, l’autre n’est jamais totalement pointé comme responsable. L’écriture des personnages est assez fine pour que ce ne soit jamais l’un d’eux. Le grand méchant est une chose jamais directement nommée mais que l’on appelle : capitalisme.