BACK TO BLACK - Sam Taylor-Johnson
We said no, no, no
La réalisatrice Sam Taylor-Johnson s’attaque à la vie de la chanteuse Amy Winehouse sans rien apporter de neuf. Pire, elle prive cette histoire de tout point de vue, se reposant entièrement sur la performance de l’actrice Marisa Abela.
Parmi les grands mystères de l’univers, quelque part entre l’existence de Dieu et la présence ou non d’individus extra-terrestres, figure ce que l’on pourrait appeler le paradoxe du biopic. Un genre cinématographique incroyablement casse-gueule, qui produit une quantité non négligeable de mauvais films chaque année, mais auquel les studios (et les cérémonies de récompense) s’accrochent pourtant coûte que coûte et pour cause : le public est bien souvent au rendez-vous. Si l’on ajoute à cette donnée de départ une histoire tragique marquée par l’exploitation commerciale d’une jeune femme, l’existence d’un excellent documentaire qui racontait justement cette exploitation (Amy, d’Asif Kapadia, sorti en 2015) et une filmographie passée plate de bout en bout, on est en droit de se demander ce qui a poussé la réalisatrice Sam Taylor-Johnson à se lancer dans un biopic d’Amy Winehouse.
À la fin de son Back to black, la question reste entière. Qu’a donc voulu raconter celle à qui l’on doit Nowhere Boy, sur la jeunesse de John Lennon, et A million little pieces, sur le combat d’un toxicomane pour se sortir de son addiction ? Impossible de le savoir. Les séquences de la vie d’Amy Winehouse s’enchaînent, suivant le parcours balisé du genre : la jeune britannique à la voix éraillée pousse la chansonnette à la maison, trouve un label, boit déjà beaucoup trop, écrit un premier album, devient célèbre, boit toujours trop, tombe amoureuse en jouant au billard (sûrement la scène la plus réussie du film d’ailleurs), est poursuivie par des paparazzi, boit d’autant plus, enchaîne les déboires sentimentaux avec un accro au crack, le tout sous les yeux éplorés de sa famille et ses amis. Mais rien ne semble jamais signifiant.
Le plus étrange est d’avoir savamment effacé les causes réelles de cette descente aux enfers, exception faite de la pression médiatique des tabloïds qui faisaient le pied de grue devant la maison de la chanteuse. Devant la caméra de Sam Taylor-Johnson, Amy Winehouse est entourée de gens aimants, à commencer par son père mais aussi son mari, Blake Fielder-Civil, qui finit même par divorcer en invoquant, avec une extrême lucidité, la toxicité de leur relation. Dans les faits, le premier a exercé une pression énorme sur sa fille pour qu’elle poursuive son travail alors même qu’elle était très fragile ; le second, qui l’a initiée aux drogues dures (ce qui, là aussi, n’apparaît quasiment pas), a exigé une séparation pour adultère.
À vouloir réhabiliter tout le monde (il faut dire que le film a été écrit avec la bénédiction du papa), à passer sous silence le fait qu’Amy Winehouse est morte après qu’on lui a imposé une énième tournée dont elle ne voulait absolument pas, Back to black semble réduire la chanteuse à une femme amoureuse, trop colérique et trop sensible. Même le harcèlement des paparazzi ne donne jamais lieu à une quelconque réflexion plus poussée sur la difficulté de guérir d’une addiction lorsqu’on est une personnalité publique.
Errant sans point de vue, le biopic devient un album photo qui ne repose, comme beaucoup de films du genre hélas, que sur la performance de son actrice principale. Marisa Abela, aperçue dans la série Industry, a perdu du poids, appris à chanter et à imiter l’accent cockney. Elle ne démérite pas, et d’aucuns diront que c’est du génie. Du cinéma pourtant, on est en droit d’attendre un peu plus.
MARGAUX BARALON