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Cannes 2023 : BANEL ET ADAMA - Ramata Toulaye-Sy

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Les royaumes de sable

Propulsé directement en Compétition au Festival de Cannes, le premier long-métrage de la franco-sénégalaise Ramata Toulaye-Sy délivre un beau voyage mystique dans un village reculé, mais pâtit d’un récit trop laconique pour captiver son public.

C’était la grande surprise à l’annonce de la sélection officielle du festival : un premier film figurerait en compétition, aux côtés des habitués de la sélection cannoise (Wes Anderson, Nanni Moretti, Marco Bellocchio, entre autres). Fait rare s’il en est, Banel et Adama, premier film de la réalisatrice franco-sénégalaise Ramata Toulaye-Sy, a donc attisé beaucoup de curiosité avant sa projection ; il fallait que le film ait présenté de grandes qualités pour convaincre le comité d’arriver directement en compétition, dernière marche des différentes sélections cannoises.

Vitrine luxuriante ou cadeau empoisonné ? En créant autant d’attentes, le film risquait de se prendre les pieds dans le tapis rouge. Coscénariste notamment de Notre-Dame du Nil avec Atiq Rahimi, Ramata Toulaye-Sy est issue de la formation de scénariste à la Fémis, et Banel et Adama découle de son projet de fin d’études. Prenant place dans un village reculé au nord du Sénégal, il met en scène le couple de Banel et Adama, dont l’amour fulgurant se heurte à plusieurs obstacles : le destin pour Adama de devenir chef du village, une violente sécheresse qui décime les bêtes et les populations, ou des maisons ensablées, futur havre de paix du couple, qui demandent sans fin à être déterrées.

Avec un dialogue rare qui confine davantage à l’incantation magique, Banel et Adama souffre d’un corps de récit malheureusement trop maigre, qui n’arrive pas à la hauteur des moyens déployés du côté de la réalisation, la mise en scène et la photographie. C’est dommage, car Ramata Toulaye-Sy démontre avec ce film sa capacité à créer un langage cinématographique qui relève uniquement de l’ordre du mystique. Il fallait en effet réussir à raconter la sécheresse et le dérèglement climatique à l’échelle d’un village, sans jamais sortir du registre de la croyance. C’est pourtant chose faite ; car tous les obstacles s’opposant au bonheur du couple semblent relever de l’ordre du divin, depuis l’héritage ancestral reposant sur les épaules d’Adama jusqu’aux étranges maisons ensablées et leur lot de malédictions. Banel en elle-même, axe principal de la narration, incarne une obstination et une violence qui relèveraient presque de la sorcellerie – et on loue au passage la prestation de son actrice Khady Mane, qui parvient à donner à son personnage toute l’aura enflammée qui définit le film.

Difficile à cette heure de savoir si le film bénéficiera ou pâtira de sa très (trop ?) grande exposition ; il aurait sans doute mieux trouvé sa place et son public dans la sélection Un Certain Regard, qui aurait permis une plus grande indulgence vis-à-vis de ses insuffisances d’écriture. Reste dans tous les cas la capacité de la réalisatrice à inventer un langage narratif qui, on l’espère, sera réinvesti dans son prochain film.

MARIANA AGIER