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BERNADETTE - Léa Domenach

Copyright Warner Bros. France

Une femme d’influence 

En transformant Bernadette Chirac en improbable icône pop, Léa Domenach propose une fantaisie politique plutôt réjouissante, où Catherine Deneuve s’amuse en confrontant son image à celle de la célèbre première dame.

Qui est vraiment Bernadette Chirac ? Son nom nous évoque tout de suite une certaine austérité, des tailleurs en tweed, un brushing laqué et des petites pièces jaunes. Une femme, aussi, dans l’ombre du président Chirac, souvent moquée pour son image conservatrice. Comme beaucoup d’entre nous, Léa Domenach a grandi dans les années 1990 avec cette vision de la première dame - d’autant que la politique est un sujet que connaît bien la jeune cinéaste, fille d’un célèbre journaliste spécialiste du sujet… Et si derrière l’image vieille France se cachait une battante cherchant à s’émanciper du statut d’une simple “femme de”, pour imposer une véritable influence politique ? C’est cet aspect-là de Bernadette Chirac que Léa Domenach développe dans ce vrai-faux biopic aux allures de fable qui s’étend sur sa période “première dame”, de 1995 à 2007. La cinéaste, qui a fait ses armes du côté de la télé en cocréant la série Jeune & Golri, dresse un drôle de portrait d’émancipation, cherchant à faire de Bernadette une égérie pop improbable, ce qu’elle était quand même loin d’être dans les faits. Mais ce qui intrigue le plus dans ce premier film, c’est qu’il s’avère être bien plus politique que féministe - on aurait d’ailleurs du mal, malgré les efforts scénaristiques en ce sens, à accoler ce terme à ce personnage conservateur.

Derrière la comédie, Bernadette Chirac est en effet  présentée ici comme un animal politique, qui refuse de rester dans l’ombre et rêve d’user de son influence à l’Élysée. Son explosion populaire est ainsi savamment orchestrée par ses conseillers en communication, incarnés dans l’unique personnage que joue Denis Podalydès. Si le sentier narratif reste quelque peu balisé, avec cette évolution d’un personnage de l’ombre et l’indifférence vers l’émancipation et le respect, il y a surtout dans Bernadette un regard satirique sur quatorze ans de vie politique, période peu évoquée en fiction – si ce n’est dans une autre comédie, La Conquête de Xavier Durringer (2011) — et encore moins d’un point de vue féminin. Le film décrit des années Chirac rongées par les décisions politiques malvenues (la dissolution de l’Assemblée nationale, l’aveuglement face à la montée de l’extrême droite…), l’ego des ténors de la droite (Juppé, Villepin, Bertrand et autres Sarkozy sont jubilatoirement caricaturés) et les affaires judiciaires qui s’accumulent. Autant d'événements que la première dame, selon le point de vue du film, avait vu venir, ou tenté de contourner. Au milieu de tout cela, Bernadette Chirac est donc représentée comme une voix inaudible, non pas du fait de son inexpérience - au contraire, à l’Élysée, la première dame a maintenu son mandat d’élue locale en Corrèze - mais du fait de son statut de bonne épouse qu’on aimerait voir rester à sa place. L’entourage de son époux, imaginé comme une sorte de “boy’s club” dont Jacques Chirac serait le maître, la raille constamment en la renvoyant à la passivité, comme nombre de femmes de sa génération. Léa Domenach utilise ainsi  son histoire pour raconter la difficulté des femmes à s’imposer dans l’ombre de leur mari, la dureté de Jacques Chirac envers son épouse étant d’ailleurs largement montrée dans le film comme le déclencheur de la rébellion de Bernadette pour se faire une place dans le système.

Copyright Warner Bros. France

D’une icône à l’autre

Si le film affirme assez clairement sa position politique, le respect pour le personnage de Bernadette demeure un de ses points forts. Les valeurs catholiques et conservatrices du personnage ne sont ainsi ni élaguées, ni moquées. Au contraire, Léa Domenach leur rend justice avec une certaine malice, plaçant une rencontre clé avec Nicolas Sarkozy dans un confessionnal, utilisant des séquences musicales de transition en mode gospel - y compris sur un air d’Ophélie Winter… Plutôt osé ! L’esthétique se veut donc résolument pop, s’amusant des marqueurs des années 1990 les plus surprenants, tels que le succès des 2Be3. Une volonté de raconter l’époque que l’’on ressent dans la manière dont le film joue avec les archives les plus célèbres de cette période, tournant à l’identique par exemple le lancement de l’opération Pièces jaunes avec David Douillet. Toutefois, la mise en scène demeure un peu naïve. Au vu de la promesse pop, on aurait aimé un peu plus d’audace formelle. L’attention particulière apportée aux liens entre Bernadette et ses deux filles - Laurence, victime d’anorexie mentale depuis l’adolescence, et Claude, conseillère politique de Jacques Chirac - aurait également mérité d’être un peu plus approfondie, la relation entre les trois se trouvant être l’un des nerfs de son histoire personnelle.

N’en demeure pas moins que le choix de Catherine Deneuve est une évidence. Là encore, il y a cette volonté de positionner le film comme un objet de pop culture en usant de l’imaginaire lié à la comédienne, que la presse, on le constate pendant la promo du film, aime présenter comme la reine mère du cinéma français. La rencontre des deux icônes antagonistes fait des étincelles, Deneuve s’amusant comme une enfant dans le costume de la première dame. La liberté de penser de l’actrice fait écho à la vision de Bernadette portée par Léa Domenach. Ce choix de casting est d’ailleurs un vœu de la première heure de la réalisatrice, bien que l’actrice ait une décennie de plus que le personnage qu’elle incarne. Ce projet s’inscrit dans une décennie où Deneuve, malgré ses 79 ans, n’a jamais cessé d’être prolifique. Des rôles qui n’entrent jamais dans le cliché de “la vieille dame” (de sa collaboration avec Emmanuelle Bercot ou Julie Bertuccelli à son incursion comique face à Jonathan Cohen dans Terrible jungle), qui mériteraient qu’on s’y penche dans un article à part entière. Un éventail de représentations inédites qui inspireront, on l’espère, des rôles pour d’autres comédiennes moins iconiques que la reine Catherine, à l’heure où les femmes de plus de 50 ans restent sous-représentées à l’écran.   

ALICIA ARPAÏA