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BIS REPETITA - Émilie Noblet 

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Prenez une grande cuillère de comédie scolaire, un zeste d’imagerie mythologique et une pincée de rom com à l’anglo-saxonne… Saupoudrez le tout d’un décor napolitain et vous obtenez Bis Repetita ! Une comédie légère portée par le délicieux tandem Louise Bourgoin-Xavier Lacaille, qui s’éloigne des terrains balisés du genre pour se révéler être une production des plus atypiques… et réussie ! 

ALEA JACTA EST ! 

En France, la comédie scolaire est un peu un sport national. À chaque période de vacances scolaires sa fiction, plus ou moins inspirée, où un·e professeur·e se dépasse pour accomplir sa mission d’enseignement et accompagner au mieux les enfants/collégiens/lycéens (rayez les mentions inutiles) en difficulté vers l’épanouissement. La plupart sont ou largement oubliables (avez-vous entendu parler de L’école est à nous, Les Têtes givrées ou Un petit miracle, tous sortis dans les 24 derniers mois ?), ou décevantes (Un métier sérieux de Thomas Lilti). D’autres nous charment par leurs angles inattendus (Les Petites Victoires – dont nous avions rencontré la réalisatrice Mélanie Auffret). Bien que sans prétention, Bis Repetita fait clairement partie de la seconde catégorie. Delphine, prof de latin désabusée, distribue les 19 à tour de bras pour garder la paix en classe. Problème n°1, de si bons résultats permettent à sa classe de se qualifier pour les « Ludi Latini », sorte de championnat du monde pour latinistes en direct de Naples. Problème n°2, s’ils perdent, c’est l’avenir tout entier de l’option latin du lycée qui est menacé. Pas le choix, il va falloir tricher. Mais problème n°3, la directrice (Noémie Lvovsky, irrésistible à chaque apparition) oblige Delphine et ses élèves à partir avec Rodolphe, un thésard passionné dont le principal hobby est de reprendre les tubes de Céline Dion dans la langue d’Ovide (!). 

Leur aventure italienne sera savoureuse, et c’est grâce à l’écriture et la mise en scène rafraîchissante d’Émilie Noblet, qui propose avec ce premier film une comédie tout sauf clichée mélangeant les genres, du teen movie à la rom com, ainsi que les références, de Pompéi à Ovide en passant par Poudlard et Céline Dion. Réalisatrice venue de la web-série (Loulou, Parlement) et ayant débuté sa carrière comme cheffe opératrice (formation à la FEMIS et en poste sur Jeune femme de Léonor Serraille – Caméra d’or 2017), son travail sur l’image surprend, tant on sait à quel point cet aspect est habituellement sacrifié sur l’autel du rire dans les comédies françaises. Ici, le décor – la cité de Naples et ses merveilles – transcende le propos, notamment quand les adolescents déambulent au milieu des ruines de Pompéi. Un décor de cinéma où la mythologie s’invite entre deux blagues malignes sur les subtilités de la langue latine. Notons d’ailleurs à ce titre le travail de coscénariste de Clémence Dargent, déjà à l'œuvre sur une comédie atypique que nous avions appréciée ici, l’audacieuse Bernadette

L’autre point fort du film réside dans son duo de comédiens principaux à l'alchimie naturelle et au timing comique décapant. Louise Bourgoin s’amuse dans le rôle de cette prof décomplexée, digne héritière des anti-héroïnes anglo-saxonnes (tromperies, beuveries, sexualité assumée, désintérêt pour la matière éducative et pour finir amoralité totale dans sa manière d’encourager ses élèves à la triche). Face à elle, Xavier Lacaille, qu’on adore depuis la série Parlement, trouve ici enfin sa place sur grand écran dans un personnage de grand benêt idéaliste taillé pour lui, et on ne dit pas cela au hasard puisqu'il est crédité aussi comme consultant à l’écriture. Un couple de personnages sur le papier improbable mais dont la dynamique va faire progressivement basculer l’intrigue scolaire vers la comédie romantique, dont les passages obligés sont savamment déconstruits par les autrices. Mais tout cela ne serait rien sans la bande d’ados qui les entoure. Heureusement, les cinq lycéens sont tous formidablement dirigés. Noblet raconte s’être adaptée à la personnalité et l’expérience de chacun, et cela se sent dans les séquences d’ensemble. On y observe une certaine vérité qui se dégage de ce groupe dans la manière dont les caractères de la génération Z sont dépeints. Des ados jamais infantilisés par les adultes, bien au contraire. C’est plutôt aux personnages de Bourgoin et Lacaille d’avoir des réminiscences enfantines tout au long du film, comme dans leurs séquences de déguisement ou les jeux théâtraux qu’ils inventent pour faire apprendre aux élèves un texte latin. C’est aussi une génération éclairée, curieuse et embrassant sa diversité qui est mise en avant dans Bis Repetita. Peut-être avec un peu trop de naïveté, certes, mais une vraie tendresse de la part de la cinéaste. On notera d’ailleurs une jolie séquence d’apprentissage féministe quand Louise Bourgoin raconte à un de ses élèves fasciné la genèse de la gorgone Méduse et la symbolique qui lui est propre : celle de l’icône féministe cachée derrière le monstre antique. Le gamin s’empressera évidemment de se réapproprier la couronne de serpents… Une comédie intelligente, drôle, esthétiquement réussie et même un peu politique, qui nous donnerait presque envie de nous replonger dans nos déclinaisons. 

ALICIA ARPAÏA