BLINK TWICE - Zoë Kravitz
Le parfum traumatique de l’oubli
Premier long-métrage de l’actrice américaine Zoë Kravitz, Blink Twice est un thriller redoutable qui dilue honteusement son propos dans la recherche d’un cool vengeur à la sauce girlboss.
La débrouillarde et fauchée Frida (Naomi Ackie), passionnée par le nail-art animalier, se retrouve invitée par Slater King (Channing Tatum), mogul millionnaire d’une entreprise de tech, sur son île privée pour un séjour haut en couleur. Accompagnée de sa meilleure amie Jess (la toujours formidable Alia Shawkat) et d'une bande d’inconnu·es, elle profite de ses vacances dorées façon The White Lotus pour séduire King et oublier son quotidien morose. Le cocktail devient progressivement écœurant, la musique sonne faux, les vapeurs des drogues se dissipent, le parfum des fleurs exotiques est irrespirable, la mémoire est une vérité sordide et la façade repentante et suave de Slater King un cruel mensonge.
Kravitz conçoit un thriller solide à la mécanique hallucinatoire et retorse, où les apparences sont toujours trompeuses et le sourire des femmes un masque figé cachant un mécanisme de défense contre les assauts patriarcaux. La primoréalisatrice semble travaillée par les qualités formelles de son film qui allie un esthétisme très graphique et une cinématographie aux couleurs saturées créant une atmosphère de cool factice. La réalisation tourne rapidement à l’exercice de style avec des effets pompiers, et le regard, qui se voulait acéré, se perd dans des plans hyper léchés et trop décoratifs.
Cauchemar dissociatif
« L’oubli est un cadeau », assène le mielleux Slater à Frida. Cette réplique cynique martèle bien les dynamiques de domination et de violences patriarcales que dépeint le film, où on étouffe de manière complice et systémique la parole des femmes et des victimes. Comment ne pas penser à l’affaire Jeffrey Epstein (affaire de trafic sexuel sur jeunes femmes impliquant Jeffrey Epstein, milliardaire américain, notamment sur son île privée) et son réseau d’influence en voyant cette proposition insulaire cauchemardesque.
Le film tire mollement sur le climat sociétal actuel, où les discours faussement contrits et vides des hommes de pouvoir face à leurs crimes se multiplient. La sororité se trouve encore une fois dans le traumatisme partagé. Il faut s’unir pour se souvenir. Se souvenir pour se sauver mutuellement.La vengeance est accomplie, mais elle n’a pas le goût de l’émancipation et de la sororité qu’elle voudrait.
La charge politique se noie dans ce verre de champagne servi avec une framboise et le récit traumatique collectif laisse place à une revenge story autocentrée où la lutte sororale est écrasée par l’empouvoirement capitaliste d’une girlboss survivante. L’essayiste et militante féministe afro-américaine Audre Lorde disait « Les outils du maître ne détruiront jamais la maison du maître », Kravitz et son héroïne n’ont visiblement pas reçu le mémo.
LISA DURAND