BORGO - Stéphane Demoustier
Demandez la matonne
Dans ce film carcéral subtil, l’incandescente Hafsia Herzi brille en gardienne de la paix qui finit par commettre l’irréparable. Et le réalisateur Stéphane Demoustier confirme son penchant pour les personnages féminins complexes.
Qu’est-ce qui pousse une femme vers le crime ? Cette question était au cœur du précédent film de Stéphane Demoustier, La Fille au bracelet, dans lequel une adolescente était accusée du meurtre d’une amie. Elle l’est de nouveau dans son dernier long métrage, Borgo. Avec une nuance toutefois. Là où La Fille au bracelet préservait le doute quant à la culpabilité de son accusée, Borgo n’en fait rien. Mélissa a bel et bien facilité l’assassinat de deux hommes à la sortie de l’aéroport de Bastia. Elle, la gardienne de prison, est passée de l’autre côté de la barrière.
Pour comprendre, il faudra remonter le fil de cette histoire, l’arrivée de Mélissa en Corse avec son mari, Djibril. La vie qui n’a rien à voir avec leur ancienne banlieue parisienne, le racisme dont ils sont immédiatement victimes dans leur nouvel immeuble. Sa prise de poste au pénitencier de Borgo, si singulier, dans lequel les rôles sont quasiment inversés : ce sont les détenus qui surveillent les matons. Et le piège tentaculaire qui se referme sur elle petit à petit, se jouant de son professionnalisme et de son équilibre.
Librement adapté d’une histoire vraie (les accusés dans cette affaire, dont la gardienne de la paix en question, seront jugés en juin prochain), Borgo explore avec délice et efficacité les zones grises de la morale et de la droiture. Où se trouve la limite entre la souplesse, nécessaire à la survie, et la compromission ? Stéphane Demoustier a le bon goût de filmer la Corse sans cliché, dans des barres d’immeuble plutôt qu’à la plage, ensoleillée mais presque blanche, loin des cartes postales. Sa caméra, qui bien souvent suit les déambulations de son héroïne, en adopte le point de vue, laissant les dangers, la tension permanente, les brusques ruptures de ton soudain entrer dans le champ.
Mais Borgo n’aurait sans nul doute pas été aussi réussi sans son actrice principale. Hafsia Herzi, certes très bien entourée (on retrouve notamment Florence Loiret-Caille, Cédric Appietto, Moussa Mansaly et une tripotée d’acteurs corses non professionnels dans les seconds rôles), apporte à son personnage une forme de puissance et d’ambiguïté délicieuses à regarder. On découvre une femme qui fait le dos rond pour protéger les siens et le maximum pour exercer son métier dans les meilleures conditions possibles, avant de se dévoiler tour à tour dure, menteuse, implacable ou abandonnée le temps d’une soirée alcoolisée. C’est parce que Mélissa se dérobe sans cesse qu’elle apparaît aussi vraie, et la comédienne, tout entière abandonnée à cette mystérieuse trivialité, est impressionnante.
MARGAUX BARALON