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CHALLENGERS - Luca Guadagnino

Copyright © Metro-Goldwyn-Mayer Pictures

Amour sur le court

Avec Challengers, Luca Guadagnino nous fait presque aimer le tennis. Mais malheureusement, le film ne tient pas toutes ses promesses de passions sulfureuses. 

Cela fait un mois que le matraquage promotionnel de Challengers intrigue les cinéphiles d’internet. Il faut dire que le film bénéficie d’une direction artistique au poil, de l’affiche au design alléchant jusqu’aux tenues de Zendaya qui a délaissé le peuple Fremen pour le court de tennis. Le film est vendu comme une nouvelle itération du drame sexy par Guadagnino, à qui l’on doit Call Me by Your Name et le remake de Suspiria, mais cette fois-ci dans le milieu sportif. 

Challengers, c’est une histoire un peu cynique d’ambitions jamais accomplies, de rivalité sportive et amicale, mais c'est surtout un récit érotique. Art (Mike Faist) et Patrick (Josh O’Connor) sont deux jeunes amis tennismen, l’un réservé et droit dans ses bottes, l’autre fougueux et séducteur. Ils rencontrent la prometteuse Tashi (Zendaya), sur qui Patrick a déjà flashé. Art ne tarde pas à partager l’avis de son copain, et ils tentent tous deux de la séduire. Tashi a du mal à choisir entre les deux beaux jeunes hommes, chacun charmant à sa manière. Elle décide alors de les mettre en compétition lors d’un tournoi de tennis. Le grand prix ? Son cœur…

Si ce résumé sonne comme une fanfiction, c’est que le scénario ressemble au genre à s’y méprendre, et ce, pour notre plus grand plaisir. Le réalisateur italien est un maître de la tension érotique entre personnages séduisants, et Challengers est une nouvelle preuve de ce talent. On se croirait presque sur le court, pris.e dans ce triangle amoureux, victime du sourire en coin de Josh O’Connor qui charme autant qu’il exaspère. L’idée du match de tennis pour déchaîner ses passions est bien trouvée, et les costumes comme les décors construisent un univers frais et désirable. Seul élément manquant : des scènes de sexe torrides et un peu déviantes, pour faire saliver sans trop choquer.

Guadagnino aurait-il eu peur de franchir le pas qui aurait fait de Challengers une romance déchirante, qui fédèrerait bon nombre d’ados (et de jeunes adultes) en plein émoi, à l’instar de Call Me by Your Name ? Car mauvaise nouvelle : Challengers n’est pas aussi incandescent et bisexuel qu’il le prétend. Avec deux mentions de rapports sexuels (hétéros bien sûr), dont aucune à l’écran, on peut dire que le film reste plutôt chaste. Même la fameuse scène du baiser à trois, vue et revue dans la bande-annonce, ne va pas plus loin que ledit baiser.

Pas de sexe bi ou gay donc, ni suggéré, ni montré. Pourtant, le film installe entre ses protagonistes masculins une dynamique homoérotique palpable – Patrick est même ouvertement bisexuel. Leur amour, déguisé en rivalité, est le pilier du film et en réalité le plus grand enjeu de la finale du Challenger, le match qui rythme toute la narration. On ressent presque une forme de pudeur, comme si le film n’osait ni explorer la bisexualité, ni les relations à plus de deux personnes. 

Tashi, elle, est accessoire et demeure un fantasme de girl next door transformée en épouse perfide et clichée. Elle est tenue bien à distance, toujours impénétrable, parfaitement coiffée et mise en valeur par ses tenues, comme si le regard lubrique des deux adolescents était une bonne excuse pour apposer sur Zendaya un male gaze pas si subtil. Tashi est une figure de femme fatale, en somme, et semble purement créée pour garantir le bon avancement du récit, ce qui est problématique quand on l’annonce comme un protagoniste avec une intériorité développée. D’ailleurs, le film passe à peine le test de Bechdel, affirmant d’autant plus un désintérêt pour ses personnages féminins. 

Enfin, la rhétorique à la fois cynique et simpliste de « tout le monde finit perdant » serait mieux passée si les personnages étaient réellement dépravés. Ici, on nous sert une fin qui marque un retour à l’ordre – à peine ébranlé – hétéronormé et un brin capitaliste. Les perdants restent perdants et c’est bien leur faute car « ils ne se sont jamais donné les moyens de gagner » ; les gagnants restent gagnants et c’est tant mieux pour eux puisqu'ils ont bien travaillé pour, mais bon, leur vie n’est quand même pas facile, ils doivent tout le temps changer d’hôtel de luxe et c’est beaucoup de logistique. 

Celleux qui attendaient un Challengers érotique et subversif seront bien déçu.es d’y trouver une histoire divertissante mais aseptisée, qui n’a de nouveau que quelques tentatives formelles à l’image et au son. En revanche, si le succès du film permet une propulsion de Josh O’Connor au rang de star internationale, on le pardonnera sûrement à Guadagnino.

NOÉMIE ATTIA