COMME À LA MAISON – Mars 2022
Fini les sempiternels « Qu’est ce qu’on regarde ce soir ? » et les longues errances sur Netflix ! Chaque mois, on vous propose quelques recommandations de films disponibles en VOD ou SVOD à travers une thématique féministe, et/ou avec une femme derrière la caméra. Une chose est sûre, il y en aura pour tous les goûts.
Au programme ce mois-ci : un giallo queer, un drame rural, un thriller punk un portrait-en-cinéma, des gens normaux, des amours bisexuels et un hôpital au bord de la fracture.
LA RECOMMANDATION DE ... AMANDINE
Un couteau dans le coeur - Yann Gonzalez (2018), disponible sur Shadowz
Synopsis :Paris, été 1979. Anne est productrice de pornos gays au rabais. Lorsque Loïs, sa monteuse et compagne, la quitte, elle tente de la reconquérir en tournant un film plus ambitieux avec son complice de toujours, le flamboyant Archibald. Mais un de leurs acteurs est retrouvé sauvagement assassiné et Anne est entraînée dans une enquête étrange qui va bouleverser sa vie.
Bien identifié dans le cinéma français queer, entre le glittercore Alexis Langlois et le plasticien Bertrand Mandico, Yann Gonzalez propose un film à la croisée des genres, entre horreur, giallo et érotisme au coeur des 70's. Avec son envoûtante BO signée M83, Un Couteau dans le Coeur est un film pansexuel, où chacun‧e est libre d'aimer et de désirer sans limite. Le porno devient alors un refuge, une sorte de parodie joyeuse de l'horreur du monde extérieur. Tant pis si le film a suscité bien des remous lors de sa présentation à Cannes en 2018, il fait parti de ces anomalies réconfortantes dans le paysage français.
LA RECOMMANDATION DE … LAURA
The World to Come - Mona Fastvold (2020), disponible sur OCS
Synopsis : Quelque part à la frontière de la côte-est américaine, au milieu du XIXe siècle. Abigail réside avec son époux dans une ferme en pleine campagne. Au printemps, elle fait la connaissance de Tallie, sa nouvelle voisine. Une relation étroite se noue vite entre les deux femmes, qui cherchent à combler le vide obsédant qui les entoure.
Il n’est pas aisé d’aimer directement The World to Come, tant il peint un monde austère, inscrit en creux de la mise en scène et de l’histoire qu’il nous dévoile. La dureté de ton dévoile la monotonie d’une vie féminine au sein d’un monde rural rigoureux et cruel. Mona Fastvold utilise la voix-off comme un journal intime, qui amène une passion amoureuse là où les images manquent à la dépeindre. Les moments volés de Abigail (Katherine Waterstone) et Tallie (Vanessa Kirby) sont montrés comme hors du temps, comme le seul moyen d’échapper aux devoirs conjugaux et aux tâches ménagères. S’il s’intéresse en premier lieu à leur histoire d’amour, le film s'apparente à un témoignage d’une autrice qui ne peut en devenir une à cause de son genre. Ce n’est que par son journal, un monde intime qu’elle nous offre, que l’on peut comprendre et vivre sa fièvre intérieure.
LA RECOMMANDATION DE... MANON
Guilty of Romance - Sono Sion (2011), disponible sur Shadowz
Synopsis : Izumi est mariée à un célèbre romancier mais leur vie semble n'être qu'une simple répétition sans romance. Un jour, elle décide de suivre ses désirs et accepte de poser nue et de mimer une relation sexuelle devant la caméra. Bientôt, elle rencontre un mentor et commence à vendre son corps à des étrangers, mais chez elle, elle reste la femme qu'elle est censée être. Un jour, le corps d'une personne assassinée est retrouvé dans le quartier des "love hotels".
Il est difficile de présenter Sono Sion en quelques mots, tant la filmographie de ce réalisateur japonais est vaste, passionnante et inégale. Bien que soutenu par des groupes d'amateurs de son travail désormais culte, il est rarement présent sur les grands écrans français en dehors des festivals mais on le retrouve en DVD et sur quelques plateformes. Artiste provocateur, aux œuvres qui résonnent comme des cris d'alertes, Sono Sion aime traiter d'histoires violentes qui parlent de son pays. Dans le thriller punk Guilty of Romance, il se concentre sur le rôle de la femme au sein de la société japonaise du début des années 2010. Le résultat est unique en son genre.
LA RECOMMANDATION DE... LISA
Jane B. par Agnès V. - Agnès Varda (1988), disponible sur Canal VOD
Synopsis : Le film est un portrait-en-cinéma où l'on découvre Jane Birkin sous toutes ses formes, dans tous ses états et en plusieurs saisons, elle-même en sa diversité et aussi d'autres Jane... d'Arc, Calamity Jane, et la Jane de Tarzan et la Jane de Gainsbourg. C'est la feme-au-miroir-mouvant. Elle change de tête et de rôle pour s'amuser avec Agnès qui tourne autour d'elle, la déguisant, lui proposant des fictions ou des hommages comme celui à Marilyn... Celui de Laurel maladroit de " Laurel et Hardy ". Le film est un portrait semé de mini-fictions, le film est une fiction semée de mini-confidences de Jane B., au mieux de sa forme dans un libre dialogue avec celle qui la filme, Agnès V.
Agnès Varda signe un portrait recherché et inventif de Jane Birkin, sous une forme inspirée du documentaire et du collage. Elle démystifie l’icône des sixties, la baby-doll pour nous présenter Jane. B, quarantenaire solaire. Le film s’articule autour de séquences fantasmées et décalées avec des comédien‧nes ou des membres de la famille, et des morceaux d’entretiens vérités où Varda met en scène Birkin, qui questionne les facettes de sa vie. Le tout est entrecoupé de tableaux où Varda peint Birkin dans un style Renaissance à la manière du Titien ou de Goya. L’énergie du film et ses choix plastiques sont propres au style de Varda et son idée malicieuse du quotidien et sa poésie.
Elle crée un support très libre à partir d'une biographie factuelle pour la faire décoller dans des séquences plus lyriques, où elle emballe par exemple la maison de Birkin d’un ruban rose à taille réelle. Son regard est cependant le plus beau lorsqu’il crée l’osmose dans la collaboration Birkin / Varda et atteint des sommets d’alchimie quand Agnès intervient et se filme avec Jane, partageant vérité, quotidien et expériences de femmes, de créatrices et de mères. On a l’impression de capter Jane mais sans vraiment l’atteindre, et Varda nous offre l’essence de Jane à quarante ans. Personne ne le dira mieux que Jane, lorsqu’elle ouvre son grand sac Birkin éventré et abîmé par le trop plein d’une vie « Même si on déballe tout, on ne dévoile pas grand chose ».
LA RECOMMANDATION DE... MARIANA
Normal People – Saison 1, Episode 10, disponible en accès libre sur France.tv jusqu’au 15 mars 2022
Synopsis : Adaptée du best-seller de la romancière irlandaise Sally Rooney, la série Normal People raconte l’entrée dans l’âge adulte de Marianne et Connell, deux lycéens qui vont s’aimer, se perdre et se recroiser au fil de leurs études et de leur apprentissage de la vie.
Si on a beaucoup commenté, à juste titre, la beauté de ses scènes de sexe (la série est une des premières à avoir été réalisées avec l’intervention de la coordinatrice d’intimité Ita O’Brien), Normal People raconte également l’apprentissage émotionnel des jeunes adultes, en mettant en scène leurs difficultés psychologiques, jusqu’à la dépression.
Dans un 10e épisode beau et pudique, Connell traverse un épisode dépressif suite à un deuil, qui l’amène à consulter une psychologue sur les conseils de son ami. Dans une tonalité bleu-grise aux couleurs fanées, l’épisode alterne entre les funérailles en flash-back, et la première consultation où Connell exprime enfin l’ampleur de son anxiété et de sa solitude : la culpabilité née du deuil, la nécessité d’appartenir à un groupe pour se sentir exister, et le profond isolement d’un monde universitaire dont il ne maîtrise pas les codes. Dans cet épisode, l’acte de parler marque un tournant dans la série, en terminant de briser le carcan d’une masculinité caractérisée par le refoulement émotionnel. L’épisode confirme également le talent de Paul Mescal, dont l’émotion brute s’exprime autant par les mots que par les gestes ; et il s’accompagne d’une réalisation sobre, dénuée de tout pathos inutile, qui laisse entrevoir la libération et la résilience. Un petit cocon de douceur et de parole bienveillante, sincèrement nécessaire en ce début d’année.
LA RECOMMANDATION DE... LEON
Princess Cyd - Stephen Cone(2017),disponible sur MUBI
Synopsis : Cyd, dix-sept ans, a perdu sa mère et son frère dans des conditions tragiques. Le temps d’un été, elle rend visite à sa tante Miranda, une autrice à succès paisible et spirituelle dont le mode de vie contraste avec celui de la jeune fille.
Entre premiers amours bisexuels et quête de profondeur, Cyd se cherche et trouve une alliée en Miranda, qui est elle-même ébranlée par la jeune fille et ses états d’âme. Ce très beau long-métrage queer de Stephen Cone apporte un peu d’été avant l’heure et dresse un tableau sensoriel et poétique des relations familiales et amoureuses.
LA RECOMMANDATION DE... ESTHER
La Fracture - Catherine Corsini (2021), disponible sur MyCanal VOD
Synopsis : Raf et Julie, un couple au bord de la rupture, se retrouvent dans un service d’Urgences proche de l'asphyxie le soir d'une manifestation parisienne des Gilets Jaunes. Leur rencontre avec Yann, un manifestant blessé et en colère, va faire voler en éclats les certitudes et les préjugés de chacun. À l'extérieur, la tension monte. L’hôpital, sous pression, doit fermer ses portes. Le personnel est débordé. La nuit va être longue…
La promesse est galvanisante : une nuit dans le service d'urgences d'un hôpital parisien pendant le mouvement des Gilets jaunes. Pour son 11ème long-métrage, Catherine Corsini réussit le pari de créer un huis clos réaliste et tendu, rassemblant un routier blessé lors d'une manifestation, une dessinatrice de BD en pleine séparation avec sa femme, et une aide-soignante débordée par l’arrivée massive de manifestants blessés. Valérie Bruni-Tedeschi et Marina Foïs, couple de lesbiennes au bord de la crise de nerfs, provoquent l'hilarité, Pio Marmaï rappelle à la triste réalité, Aissatou Diallo-Sagna éblouit par sa justesse. Ce n'est pas un hasard si cette actrice non professionnelle, aide-soignante dans la vie, vient de remporter le César de la meilleure actrice dans un second rôle. A mille lieux d'Un Amour impossible sorti il y a trois ans,La Fracture est un film politique nécessaire, qui dresse un constat sans appel de la société française, à cran et asphyxiée sous la pression économique.
Dans notre dernier épisode, nous revenons sur le magnifique Maternité Éternelle de Kinuyo Tanaka, à l'occasion d'une rétrospective qui lui est consacrée :