COMME A LA MAISON - Mars 2023
Fini les sempiternels « Qu’est ce qu’on regarde ce soir ? » et les longues errances sur Netflix ! Chaque mois, on vous propose quelques recommandations de films ou séries disponibles en VOD ou SVOD à travers une thématique féministe, et/ou avec une femme derrière la caméra. Une chose est sûre, il y en aura pour tous les goûts.
Pour mars, on regarde du côté de l’actualité juridique grâce à La Fabrique du mensonge, mais on parle aussi de Solveig Anspach et Alice Winocour puis on participe à un concours de beauté dans Malcolm avant de courir contre la montre avec Laure Calamy.
LA RECOMMANDATION DE… LEON
La Fabrique du mensonge S.3
Affaire Johnny Depp/Amber Heard - La justice à l'épreuve des réseaux sociaux
disponible sur france.tv jusqu’au 12 juillet 2023
Synopsis : Johnny Depp vs Amber Heard, c'est l'histoire de deux stars d'Hollywood qui s'accusent de violences conjugales lors d'un procès pour diffamation diffusé en direct sur Internet, et commenté dans le monde entier. Au printemps 2022, cette frénésie médiatique s'est accompagnée d'une campagne de haine et de dénigrement en ligne sans précédent contre l'actrice américaine. Derrière les railleries habituelles des réseaux sociaux, se cache en réalité une campagne orchestrée par des groupes d'hommes en colère qui, depuis des années, font de la haine contre les femmes leur priorité : les masculinistes.
En 2021, 73% des femmes ont été victimes de cyber-violence à travers le monde. C’était l’objet du documentaire #SalePute (de Florence Hainaut et Myriam Leroy), où plusieurs personnalités publiques venaient témoigner des campagnes de harcèlement faites à leur encontre sur internet. Le phénomène n’était pas nouveau, l’une de ses manifestations les plus spectaculaires, le GamerGate, datant de 2014. Mais avec l’émergence du mouvement MeToo, il prend une forme nouvelle, celle du backlash théorisé par la penseuse féministe Susan Faludi : à chaque fois que le mouvement des droits des femmes connait une avancée, les groupes néoconservateurs montrent les dents. En 2022, ces derniers jettent leur dévolu sur l’actrice Amber Heard, poursuivie en justice par son ex-conjoint Johnny Depp. Reconnu coupable de violences conjugales à son encontre, l’acteur joue la carte de la diffamation et règle ses comptes lors d’un procès télévisé qui fédèrera des milliers de spectateurs partout dans le monde. De cette opération, il sort victorieux grâce à l’opinion publique, qui transforme Heard en la femme la plus détestée des Etats-Unis.
Boudé par la presse française - sujet “trop people” -, cet évènement est considéré par beaucoup de féministes comme un recul spectaculaire des droits des femmes, un fiasco médiatique aux soubassements sexistes. Et c’est, en partie, la conclusion de Cécile Delarue dans le documentaire Affaire Johnny Depp/Amber Heard - La justice à l'épreuve des réseaux sociaux. La journaliste y décrypte avec finesse les mécanismes du cyber-harcèlement et les codes des mouvements masculinistes, qui prolifèrent sur le web. L’ensemble est aussi instructif que dérangeant, car il engage notre responsabilité en tant que société - et, en filigrane, pose la question suivante : comment avons-nous pu laisser passer ça ?
LA RECOMMANDATION DE… ALICIA
Haut les coeurs ! - Solveig Anspach - 1999
Disponible gratuitement sur france.tv jusqu’au 31 mars 2023
Synopsis : Emma, musicienne d'une trentaine d'années, est heureuse et amoureuse. Bientôt elle donnera naissance à son premier enfant. Mais voilà, lors de ses examens gynécologiques on lui détecte un cancer du sein. Alors que les médecins préconise à Emma l'interruption de sa grossesse pour permettre à son corps de lutter pleinement contre la maladie, le jeune femme refuse. Elle ira au bout de son désir d'enfant, tout en subissant une chimiothérapie.
Rarement le sujet de la maladie n'a été traité avec autant de pudeur et de force que dans Haut les coeurs !. Sólveig Anspach (Lulu, femme nue, L'effet aquatique) livre dans son premier film le récit d'un combat. Celui d'une femme cherchant à garder le contrôle de son corps. Un combat qui fut d'abord le sien, Sólveig Anspach ayant elle même dû affronter un cancer du sein lors de sa grossesse. La cinéaste peint ainsi avec une magnifique délicatesse les sentiments d'un personnage face à la perte de sa féminité, les craintes et les troubles que cela réveille (grossesse entravée, physique altérée par la perte des cheveux puis une mastectomie...). Au-delà de la description naturalistes des rendez-vous médicaux, la carrière de documentariste d'Anspach n'étant pas étrangère à ces effets de style, le film est aussi une merveilleuse histoire d'amour entre Emma, épatante Karin Viard césarisée pour le rôle, et son compagnon incarné par Laurent Lucas, dont les liens se renforcent malgré l'épreuve et les doutes.
Haut les coeurs ! lève ainsi les tabous sur le cancer du sein (rappelons qu'en France environ 58 000 femmes sont diagnostiquées chaque année) en s'appuyant sur l'expérience vécue de son personnage principal sans jamais être larmoyant, ni sombrer dans le pathos. Un film essentiel et bien plus lumineux qu'il n'en a l'air.
LA RECOMMANDATION DE… MANON
Malcolm - Saison 6 épisode 22 - Reine d’un jour - 2005 - Disponible sur Disney +
Synopsis : Petit génie malgré lui, Malcolm vit dans une famille hors du commun. Le jeune surdoué n'hésite pas à se servir de son intelligence pour faire les 400 coups avec ses frères. Et les parents tentent tant bien que mal de canaliser l'énergie de ces petits démons. Dans cet épisode, les enfants inscrivent leur mère au concours de Miss Tri-County, pour se moquer d’elle. Mais Loïs accepte de concourir et Hal oblige les enfants à aider leur mère à gagner.
Série culte des années 2000, Malcolm s’est illustrée pour son humour à la fois familial et caustique, ainsi que pour ses personnages iconiques. Loïs, la mère, est une femme autoritaire, déterminée, qui n’hésite pas à s’offusquer contre l’injustice ou, dans un autre registre, ordonner à ses fils de rester dans leur chambre. Poursuivie par la charge mentale propre aux mères de famille, modeste employée d’un supermarché, la sévère Loïs est très vite devenue un personnage féminin passionnant à étudier. Dire que la plupart des épisodes de Malcolm sont bien écrits est un euphémisme tant la modernité de la série raisonne encore aujourd’hui.
Dans le dernier épisode de la saison 6, Loïs dévoile quelques éléments de son passé. La femme quitte son rôle de mère pour redevenir une adolescente complexée et coquette, le temps d’un concours de beauté. C’est un Little Miss Sunshine où les femmes au foyer font semblant d’être des mères parfaites alors qu’elles exècrent leurs enfants, tout en étant permanence en concurrence avec leurs voisines. Mi drôle mi cruel, Reine d’un jour n’a rien à envier à Mean Girls. Presque avant-gardiste dans son approche de la maternité, il possède également une mélancolie insondable, presque inattendue dans les bouffonneries de la série.
LA RECOMMANDATION DE… LISA
Augustine - Alice Winocour - 2012
Disponible gratuitement sur france.tv jusqu’au 30 avril 2023
Synopsis : Paris, hiver 1885. A l’hôpital de la Pitié Salpêtrière, le professeur Charcot étudie une maladie mystérieuse : l’hystérie. Augustine, 19 ans, devient son cobaye favori, la vedette de ses démonstrations d’hypnose. D’objet d’étude, elle deviendra peu à peu objet de désir.
Pour son premier long-métrage, la réalisatrice Alice Winocour (Revoir Paris, Proxima…) choisit de s’emparer d’une histoire vraie en costume. Elle retrace l’hospitalisation, à la Pitié Salpêtrière, à la fin du XIXème siècle, d’Augustine (l’impressionnante Soko), suite à des violentes crises « d’hystérie ». La jeune femme devient alors l’objet d’étude, de fascination et de désir du Dr.Charcot (Vincent Lindon) qui s’est spécialisé dans ce type de pathologie. Winocour impose une réalisation rigoureuse et ciselée : les cadrages sont précis et les plans plutôt serrés, le film d’époque n’est pas chez elle une excuse aux fioritures. Elle s’éloigne cependant de tout naturalisme, préférant nimber son film d’une aura fantasmagorique et d’une photographie presque irréelle (rappelant le travail d’une autre réalisatrice Lucile Hadzihalilovic). Ce théâtre hospitalier et académique souligne les relations de dominations patriarcales et psychologiques du praticien sur ses patientes. Augustine n’est pour Charcot et ses confrères qu’une autre créature de foire, plus impressionnante et érotique que ses consœurs souffrantes. On n’explique rien aux femmes et encore moins à Augustine, qui est péniblement traînée de pièce en pièce et exhibée lors de séances d’hypnose déshumanisantes pour le plaisir « éducatif » de ces messieurs. C’est la condition déplorable des femmes et leur manque de droits à disposer de leurs personnes et de leurs corps que la réalisatrice met en exergue. Winocour offre cependant à son héroïne une sortie. Pas comme une échappatoire discrète mais plutôt comme un triomphe tonitruant, elle qui a fini par comprendre les règles de jeu et décider de cette disparation selon ses propres conditions, pour la toute première fois.
LA RECOMMANDATION DE… ESTHER
A plein temps - Eric Gravel - 2022 - disponible sur MyCanal
Synopsis : Julie se démène seule pour élever ses deux enfants à la campagne et garder son travail dans un palace parisien. Quand elle obtient enfin un entretien pour un poste correspondant à ses aspirations, une grève générale éclate, paralysant les transports. C’est tout le fragile équilibre de Julie qui vacille. Elle va alors se lancer dans une course effrénée, au risque de sombrer.
Ce film n'est pas réalisé par une femme, mais son réalisateur Éric Gravel a eu le plaisir de voir deux de ses collaboratrices récompensées lors de la récente Cérémonie des César, Irène Drésel pour la meilleure musique originale - qui devient d'ailleurs la première artiste féminine à recevoir un César dans cette catégorie ! - et Mathilde Van de Moortel pour le meilleur montage.
Surtout, A plein temps met en scène avec brio une mère célibataire, incarnée par l'irremplaçable Laure Calamy, devant jongler entre ses obligations en pleine grève des transports. Résident en lointaine banlieue parisienne, Julie vit trois journées en une : celle de mère s'occupant seule de ses deux enfants, celle de femme de ménage officiant dans un palace, et celle de candidate pour obtenir un emploi à la hauteur de ses ambitions. La musique électronique d'Irène Drésel illustre parfaitement le rythme de vie harassant de cette femme au bord de la crise de nerfs. Un film haletant et terriblement actuel.
LA RECOMMANDATION DE… MARIANA
Le Roi David - Lila Pinell - 2022 - disponible gratuitement sur Arte.tv
Synopsis : Shana cherche du travail, elle a besoin d’argent pour quitter la France et ses mauvaises fréquentations. Mais le passé qu’elle cherche à oublier n’est jamais loin. Et d’ailleurs, veut-elle vraiment l’oublier ?
Nommé au César du meilleur court-métrage de fiction, Le Roi David nous fait découvrir l’excentrique Shana, en pleine consultation chez le chirurgien : elle est défigurée suite à, dit-elle, un accident. Si le chirurgien n’est pas dupe, Shana n’en démord pas, et insistera plutôt avec un culot déconcertant pour profiter de l’intervention chirurgicale pour se faire une rhinoplastie.
C’est cette juxtaposition d’un humour frisant l’absurde et d’une tristesse sourde qui fait tout le sel du court-métrage de Lila Pinell. Shana est exaspérante et solaire ; juchée sur ses talons à paillettes, elle déambule, squatte là où elle peut, et envisage un mariage blanc pour gagner de l’argent. Derrière son culot et son déni, on lit l’amertume du délaissement d’une mère, d’amitiés hasardeuses, et surtout de la solitude après David.
Ce David, c’est l’ex de Shana : il n’apparaîtra jamais, mais il hante son quotidien et la suit dans ses perditions. On le comprend violent, étouffant et abusif ; et plutôt que de montrer crûment la violence conjugale, Lila Pinell nous montre l’après : la difficulté pour Shana de se défaire de cet amour douloureux, de sortir de l’emprise de ce roi qui était tout pour elle. Tour à tour hilarante et meurtrie, Shana nous embarque dans une traversée de la nuit, où on finit par sortir de la forêt pour respirer à l’air libre.