Sorociné

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AFTER BLUE (PARADIS SALE) - Étrange Festival

Apocalypse After

On quittait Bertrand Mandico en 2018 au beau milieu de l’anthologie Ultra-Rêve, quelque part entre Yann Gonzalez et Caroline Poggi x Jonathan Vinel. Dans ce cinéma français qui piétine les frontières des genres avec un enthousiasme trop rare, Ultra Pulpe de Mandico tranchait particulièrement par sa vision surréaliste et macabre. Après une multitude de courts-métrages, le cinéaste s’essayait au long-métrage avec Les Garçons Sauvages et s’est très vite imposé comme l’OFNI du moment, plaçant des attentes démesurées pour son prochain film, After Blue (Paradis Sale)

Bertrand Mandico troque la jungle luxuriante pour la planète After Blue, terre de refuge pour toutes les personnes qui possèdent un utérus. Les autres, eux, ont été décimés par un virus, contraignant les survivant‧es à une reproduction par insémination. Ce paradis sale ressemble alors à un bac à sable géant où tout est à construire. Et la radicalité de son dépaysement interpelle autant qu'elle peut rebuter : Les Garçons Sauvages paraît bien sage à côté de l’extravagance baroque de ce nouveau monde. Dans ce western SF érotico-crado, le sordide d’un Corbucci croise l’artifice camp sur fond de série B fauchée. Le film digère ses influences et les recrache sous une forme qui ne ressemble à rien de connu. 

Comme souvent chez Mandico, c’est la plasticité qui prend le pas sur le récit. Derrière la vendetta simplissime, After Blue évoque l’amour, consumé par le désir, et la résistance à la violence. Tout jaillit par la force de ses images et symboles qui dégoulinent d’érotisme et de mort. Ce baroque foisonnant, fait de beau et de laid, épuise par son excès. Un film-monstre en somme, a l’ambition gargantuesque, prêt à tout pour le plaisir du Beau, capable d’écraser son public pour la simple beauté du geste. Et c’est par son pouvoir de répulsion / attraction que le film fonctionne de ses 2h10, à condition de se laisser porter dans son monde de chimères, de plaisir et de monstres, que l’on croisait déjà dansUltra-Pulpe.

La planète sauvage

Mais il demeure pourtant une interrogation, qui mérite d’être soulevée sans même que l’on puisse y apporter de réponse concrète. Mandico cartographie un territoire inconnu, et se pose par là même en figure démiurgique, capable de vie et de mort sur son univers. Si After Blue est un monde dénué de rationalité et propose une logique interne qui est lui est propre, le traitement de ses personnages féminins pose question. Si l’amour des personnages n’a jamais été au cœur de son œuvre, ici, c’est un sentiment de toute puissance qui semble guider le film.

After Blue se transforme alors en un petit théâtre des fantasmes dans lequel ses marionnettes féminines s’adonnent exclusivement à la masturbation, la baise et la violence. La nudité est exacerbée, mais elle est exclusivement féminine car c’est cette beauté là qui est valorisée tandis que la nudité masculine est totalement inexistante, quand bien même il existe un personnage masculin. Les interactions ne transcendent jamais la vanité de la beauté qui flirte toujours avec la vulgarité. C’est comme si le film prenait un malin plaisir à la jouissance blessée, et trouve une forme d’excitation absolue lorsqu’il traîne ses personnages dans la boue, la salive et l’urine. Et c’est aussi toute la force du film qui parvient à faire jaillir des sentiments aussi contraires, provoquant autant le dégoût qu’une sensualité macabre et profondément amorale, qui placera chacun et chacune comme juge de ses propres limites.  

Car finalement dans ce Paradis Sale, comme dans tout Far-West intergalactique, il n’y a pas de place à la morale, seulement à une débauche excessive, glamour et sale. “Le cinéma est un singe qui griffe quand il caresse” rappelait Elina Löwensohn dans Ultra Pulpe. Peut-être, car After Blue est de ces monstres qui s'incarnent dans un geste profondément sado-masochiste. Mais c’est aussi paradoxalement un film fragile, capable de s’écrouler à tout instant : car c’est à partir du moment où l’ennui prend le pas sur le plaisir que tout s’effondre. Et avec After Blue, le cinéma de Bertrand Mandico semble atteindre ses limites, non sans une certaine flamboyance. 


Retrouvez notre couverture de la vingt-septième édition de L’Étrange Festival

after blue, paradis sale

Réalisé par Bertrand Mandico

Avec Elina LöwensohnPaula Luna, Vimala Pons

Dans un futur lointain, sur une planète sauvage, Roxy, une adolescente solitaire, délivre une criminelle ensevelie sous les sables. A peine libérée, cette dernière sème la mort. Tenues pour responsables, Roxy et sa mère Zora sont bannies de leur communauté et condamnées à traquer la meurtrière. Elles arpentent alors les territoires surnaturels de leur paradis sale…

En salle le 16 février 2022