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AFTER LOVE - Aleem Khan

L’une sait, l’autre pas

After love, le premier long métrage de Aleem Khan se positionne entre deux villes, Douvres et Calais, entre deux pays, deux femmes. Sélectionné à la Semaine de la Critique l’année fatidique où le festival n’a pu avoir lieu, il a quand même pu obtenir le prix de la Fondation Gan à la diffusion, pour permettre au distributeur (ici Rezo Films) de réaliser des actions de promotions spécifiques lors de sa sortie en salle. 

De l’autre côté de la Manche

Le cinéaste nous plonge dans son drame intimiste à l’aide d’un long plan d’ensemble, où Mary et Ahmed, un couple de quinquagénaire, rentrent d’un baptême. Leur quotidien se dessine tandis que Mary, au premier plan, prépare les tisanes et se débarrasse de ses nombreux bracelets encombrants. Ahmed met en place l’ambiance sonore en arrière plan et répond mécaniquement à sa femme. Le drame se cache déjà, en hors-champ, derrière le fauteuil où s’installe Ahmed, mais obnubilé⋅es que nous sommes par les mouvements de Mary, la mort est venue sans qu’on s’en aperçoive. La mise en scène marquait déjà la prochaine solitude du personnage, dans ce simple plan où le couple était séparé, par le cadre et par les pièces. Aleem Khan montre le choc de son personnage par une bande sonore blanche, avec un sifflement de plus en plus fort, alors qu’elle fait face à la perte de son mari, mort silencieusement dans son fauteuil.

Le silence la poursuit ensuite, après l’enterrement. Plus rien n’a de sens pour cette femme qui s’est abandonnée dans son couple, prenant tous les us et coutumes de son mari d’origine pakistanaise. Le déchirement est visible par la mise en scène, le réalisateur la filmant uniquement avec des plans d’ensemble, qui l’enferme d’autant plus dans sa grande maison vide. Un deuxième choc va venir ternir son deuil mais remplir sa vie : la découverte d’une maîtresse, de l’autre côté de la Manche. L’homme qu’elle aimait, pour qui elle vivait pleinement, était double : une femme en Angleterre, une femme en France, traversant les minuscules kilomètres qui séparent les deux villes avec son bâteau. Mue d’une curiosité irrépressible, Mary traverse elle-aussi le fossé qui la sépare de cette femme pour la rencontrer. Mais c’est finalement une autre part de son mari qu’elle va découvrir, et qui, aussi surprenant que cela puisse paraître, va l’aider à faire son deuil. 

Marqué par l’absence

Aleem Khan défie la confrontation logique entre les deux femmes par un quiproquo. La narration a de l’espace pour créer la tension dramatique ; l’une sait, l’autre non. La maîtresse, Geneviève, se place à l’opposé de Mary. Bavarde, libre, elle prend de la place dans le cadre et la caméra capte l’énergie d’une femme en totale maitrise de sa vie (du moins en apparence). Face à la rigide et taiseuse Mary, la différence est de taille. Cependant, la dichotomie entre les deux femmes n'intéresse pas le cinéaste, qui préfère prendre la direction d’un pur drame affectif. After love est marqué par la perte, par l’absence. Ce vide est à peine rempli par la présence ténue d’Ahmed, personnage fantomatique. Des photos, des images floues, une voix dans un message vocal, des sms sans réponses, … Ces quelques détails gardent Ahmed auprès des deux femmes, et aident à tisser le drame parmi les secrets que dissimulent chacun des personnages. Hélas, le récit prend un chemin des plus simples et effeuille petit à petit les quiproquos d’une façon qui ne surprendra peu. Malgré la pudeur extrême de la mise en scène, qui installe de très beaux moments d’émotion, ce premier long métrage semble éviter la confrontation le plus possible, et impose donc une succession d’éléments prévisibles.

Aleem Khan pose un regard très tendre sur deux figures de femmes vouées à attendre un homme déchiré entre deux rives. Filmant la roche blanche anglaise comme un terrain hanté, After love se tourne délibérément sur les souffrances des vivants et nous offre une histoire dénuée de jugement sur l’amour, le couple et l’altérité entre deux femmes que tout oppose.


Réalisé par Aleem Khan

Avec Joanna Scanlan, Nathalie Richard, Talid Ariss...

Situé dans la ville côtière de Douvres au sud de l’Angleterre, After Love suit Mary Hussain, qui, après le décès inattendu de son mari, découvre qu’il cachait un secret à seulement 34km de l’autre côté de la Manche, à Calais.

En salle le 29 septembre 2021