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BAD LUCK BANGING OR LOONY PORN - Radu Jude

Couvrez cette sextape que je ne saurais voir

L’opinion publique et le besoin de l’exprimer sont au cœur du nouveau film de Radu Jude. Dans Bad luck banging or loony porn (titre on ne peut plus expressif), Emi, une enseignante, doit assister à une réunion parents/professeurs d’urgence la concernant directement. Ses jeunes élèves sont tombé⋅es par hasard sur sa sextape, postée sur Internet à son insu, qui fait les gorges chaudes parmi les parents d’élèves choqué⋅es de voir leurs enfants confronté⋅es à ce genre d’image. 

Histoire de mœurs

La pandémie est au cœur du récit contemporain de Radu Jude, tourné entre le premier et le second confinement. Les magasins sont fermés, les personnages portent des masques et doivent respecter la distanciation sociale, miroir de notre réalité. Dans cette crise économique et sanitaire, une autre crise se cache dans l’école où travaille Emi. Une crise morale qui la contraint à s'expliquer auprès des parents. La raison ? Une vidéo, devenue virale, qui tourne dans la cour de récréation et qui inaugure le film de manière explicite. Emi, masque érotique sur le visage et affublée d’une perruque rose, pratique une fellation à son mari, avant d’entamer un coït. Les images et paroles sont crues et les personnages sont sans retenue dans leur intimité. Si Emi a consenti à ce que son mari la filme (la vidéo est donc de son point de vue), elle n’a cependant pas consenti à ce qu’elle se retrouve sur des sites pornographiques. Les conséquences sont terribles. En plus d’être slut-shamée par les parents et par la directrice de l’école, elle pourrait être renvoyée à leur demande. 

Découpé en trois parties, Bad luck banging or loony porn détient un ton mordant et une obscénité à toute épreuve. « Le film raconte une histoire de notre temps, anodine pourrait-on dire » annonce Radu Jude. L’idée du film lui est venue à la suite d’une discussion entre ami⋅es, où le débat s’est échauffé lorsque certains faits divers ont été abordés, notamment les renvois de professeur⋅es pour des motifs relevant de leur vie privée. L’animation suscitée a été un terrain fertile pour le réalisateur roumain, qui a décidé de faire un film relié à cette opinion publique. L’occasion idéale de tisser également le portrait de son pays, de son Histoire et de l’actualité. 

C’est d’ailleurs la ville de Bucarest qui l’intéresse dans la première partie, où la caméra délaisse le personnage de Emi pour venir capter ses moindres recoins. Emi erre dans la ville, en attendant la fameuse réunion. Elle rend visite à la directrice de l’école, achète un jouet pour sa fille, demande un xanax à la pharmacie. Le cadre la laisse souvent de côté et balaye les devantures de magasins, les affiches aux murs, les incivilités des habitants. Les spectateur⋅trices sont alors directement confronté⋅es à l'obscénité. Que ce soit le porno amateur d’Emi et son mari ou une Roumanie en pleine crise politique, nous sommes constamment appelé⋅es à nous questionner sur les images que l’on nous montre et la façon dont elles sont présentées à nous. La sextape intervient comme une surprise, sans explication, ni intervention du regard du réalisateur. C’est par la suite que l’on comprendra pourquoi elle nous a été montrée, afin de laisser les spectateur‧ices face à leur propre jugement. 

L’enjeu des images

Radu Jude questionne la puissance des images et surtout la façon dont nous les recevons. Loin d’être passif⋅ve, le ou la spectateur⋅trice a un rôle à jouer par rapport aux écrans. En l'occurrence, dans Bad luck banging or loony porn, le cinéaste laisse le choix entre trois fin, allant de la farce à celle plus crédible. Mais il n’est pas question de juger Emi et sa sextape, mais plutôt d’examiner la réaction des parents autour d’elle. La troisième partie — après un interlude d’images, de définitions et de mots qui ont un rapport de près ou de loin avec l’enjeu du film — devient une cour de justice pour décider à quelle point cette professeure d’histoire est immorale. Très vite, sans cadre juridique, la réunion se transforme en discussion morale sur les pratiques sexuelles privées de Emi et son mari. Comment la vidéo est-elle arrivée sur les téléphones de leurs enfants ? La professeure est-elle victime de cyber-crime (la vidéo a été volée de l’ordinateur de son mari, amené en réparation chez un informaticien) ? Ces questions n’intéressent peu les parents, qui en profitent pour cracher leurs opinions sur sa façon d’enseigner. Tout est question de posture, de punchlines lancées à tire larigot, sans que ceci fasse avancer un quelconque débat. C’est là tout l’enjeu du réalisateur : dénoncer, non sans cynisme, l’hypocrisie de la supposée moralité des citoyen⋅es. Qu’y a-t-il de plus immoral, entre une vidéo pornographique de deux adultes consentants et les incivilités quotidiennes, sur des personnes précaires, vieilles ou malades, dans un environnement de crise sanitaire qui concerne tout le monde ? 

Mi-satire politique, mi-essai sémantique, Bad luck banging or loony porn est un film qui a du mal à s’enfermer dans une case. À la fois dans la provocation et dans le grotesque assumé, Radu Jude se positionne comme le cinéaste qui a peut-être le mieux cerné comment introduire la pandémie actuelle dans la fiction contemporaine.


Réalisé par Radu Jude

Avec Katia Pascariu, Claudia Ieremia, Olimpia Mălai..

Emi, une enseignante, voit sa carrière et sa réputation menacées après la diffusion sur Internet d’une sextape tournée avec son mari. Forcée de rencontrer les parents d'élèves qui exigent son renvoi, Emi refuse de céder à leur pression, et questionne alors la place de l'obscénité dans nos sociétés.

En salle le 15 décembre 2021