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BELLE ÉPINE - Rebecca Zlotowski

Deuil d’une mère

Tout juste sortie de la FEMIS, Rebecca Zlotowski réalise son premier long-métrage Belle Épine en 2010, dont le scénario est écrit dans le cadre de son projet de fin d’étude, sous la direction du réalisateur américain Lodge Kerrigan. Elle obtient grâce à ce film le prix du Syndicat Français de la Critique de Cinéma du meilleur premier film, ainsi que le prix Louis-Delluc en 2011. Les prix ne veulent bien sûr jamais dire grand-chose sur une œuvre. Pourtant, on ne peut s’empêcher de penser que le cinéma français a vu naître ces années-là une précieuse réalisatrice qui a insufflé dans ce premier film, avec beaucoup de rigueur, tout le sel de son cinéma. 

Il existe une part de séduction dans un premier film. On veut tout donner, tout montrer, tout dire. Rebecca Zlotowski fait précisément l’inverse. Belle Épine est rugueux, sec et ne veut en aucun cas faciliter le visionnage. La cinéaste plonge violemment dans le quotidien de Prudence Friedmann (Léa Seydoux), pas encore dix-sept ans, pour en sortir tout aussi violemment une heure vingt plus tard. Bien que le récit s’intéresse à une adolescente en construction, le film ne va jamais dans le genre teen-movie et ne propose aucunement une histoire générationnelle. C’est son personnage qui intéresse la réalisatrice. Un personnage plutôt taiseux, sombre, en retrait, difficile à cerner. Peut-être parce qu’elle a du mal à se cerner elle-même.

La sexualité comme vectrice d’émotion

Quand on attrape au vol l’histoire de Prudence, elle vient d’être arrêtée pour vol justement, dans un magasin, avec une de ses camarades de classe Maryline (Agathe Schlenker). On apprend que sa mère est morte, que son père se trouve au Canada. Cela pourrait sonner comme de fausses excuses, prétexte à commettre de tels méfaits (à la Antoine Doinel), mais il n’en sera rien. Prudence dit la vérité. Elles doivent alors se déshabiller devant la vigile, pour vérifier qu’elles ne cachent rien d’autres sous leurs vêtements. Cela pourrait paraître gratuit de dénuder deux adolescentes dès les premières minutes du film. Ce serait mal connaître Rebecca Zlotowski. Car en peu de mots, la réalisatrice dit déjà tout. Elle présente le monde dans lequel vivent les deux personnages : un monde froid, clinique, où les deux adolescentes ne peuvent s’exprimer (la vigile leur coupe souvent la parole). Elle présente également les deux personnages : Maryline, grande-gueule, provocatrice, peu gênée par son corps. 

Tout le contraire de Prudence, qui prend son temps pour se défaire de ses vêtements, et qui plaque ses bras sur son corps. Tout au long du film, elle aura du mal à se dénuder entièrement, faisant souvent face à la nudité intégrale de Maryline ou de sa cousine Sonia (Anaïs Demoustier). Dans ce langage du corps, la cinéaste montre déjà la difficulté de Prudence pour communiquer, avec les mots, mais aussi avec son corps. Belle Épine devient un récit de recherche. Une recherche de soi pour aller vers les autres. Prudence ne sait pas (ou plus) communiquer. Les mots deviennent vite vides de sens ou complètement hors de propos (comme quand elle annonce la mort de sa mère lors d’une fête, au garçon qu’elle essaye de séduire). Elle ne sait jamais quoi dire ni comment le dire. Les émotions glissent sur elle comme un vêtement de velours. Sa famille lui reprochera même de ne pas pleurer sa mère, ni de respecter les règles juives sur le deuil. C’est alors par le corps qu’elle essaye de s’exprimer, par la sexualité qui, pense-t-elle, l’aidera à s’unir aux autres. Qui l’aidera à entrer dans ce groupe de motard de Rungis, comme Maryline avant elle. Mais est-ce la bonne solution ? Ou la sexualité, comme les mots, peut-elle être vide de sens aussi ? Elle est pourtant parfois révulsée de ce que son corps peut faire. Dans une séquence avec son cousin Daniel (interprété par le merveilleux Nicolas Maury), elle exprime son dégoût face aux menstruations, cependant fascinée par l’histoire qu’il lui raconte.

Un film qui s’écoute

Ce manque de communication permet à la cinéaste de donner une place prépondérante à la musique et au son. Que ce soit les pétarades des motos, la musique parfois assourdissante, Belle Épine se regarde, mais surtout s’écoute. La musique se met d’ailleurs au diapason de Prudence, lui permettant parfois de s’exprimer et d’être comprise. C’est d’ailleurs par la musique qu’avec sa sœur aînée (censée la surveiller, mais toujours absente) elles partagent un moment au piano, communiquant par ce biais leur tristesse d’être aujourd’hui orphelines de mère. La musique peut aussi rendre Prudence vulnérable. Quand elle fait écouter une chanson que ses parents adorent à Maryline, dont le titre porte le nom même de Prudence (nous donnant peut-être un indice sur les origines de son prénom), son amie traite cette musique de “ringarde”. Pour aller dans son sens, Prudence déchire la pochette, comme si elle voulait faire disparaître la chose qui l’éloignerait de cette nouvelle amie. Ce déchirement est aussi intérieur, profondément intime, marquant la jeune fille endeuillée d’une nouvelle cicatrice. L’autre, celle béante d’une mère partie abruptement, tend à rester aussi fermée que possible durant le film. Mais elle s’ouvre de plus en plus et l’englobe dans une extrême solitude. Une solitude allant de pair avec la douleur de la perte, qu’elle devra apprendre à gérer pour pouvoir créer un pont vers l’autre.

Belle Épine suit la souffrance d'une adolescente endeuillée. Avec un regard tendre malgré un récit très sombre, Rebecca Zlotowski filme l’impossibilité de son personnage à communiquer avec des mots, tandis que le corps cherche une émotion, à cicatriser la perte d’un être cher. 


Réalisé par Rebecca Zlotowski

Avec Léa Seydoux, Anaïs Demoustier, Agathe Schlencker...

Prudence Friedman a 17 ans. Soudain livrée à elle-même dans l’appartement familial, elle rencontre Marilyne, une frondeuse du lycée qui lui fait découvrir le circuit sauvage de Rungis, où tournent dangereusement grosses cylindrées et petites motos trafiquées. Fascinée par la bande du circuit, Reynald, Franck et les autres, Prudence tente d’y gagner sa place, en essayant de faire passer sa solitude pour de la liberté.

Disponible sur OCS depuis le 12 mai 2021