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FRAGILE - Emma Benestan

Une histoire d’amour et de désir 

Si la ville de Sète est définitivement imprégnée par l’érotisme solaire de Kechiche, Emma Benestan s’empresse à son tour de capter le désir naissant au cœur de la station balnéaire. Dans Fragile, son premier long-métrage, la réalisatrice s’empare des codes de la comédie romantique et raconte une rupture amoureuse du point de vue d’Az, un jeune ostréiculteur. 

Dès sa scène inaugurale, au cœur d’un parc à huître, Emma Benestan place la question du genre au cœur de son long-métrage à travers la métaphore incongrue de l’huître hermaphrodite, non sans un certain humour. Pas question de femmes dans la trentaine qui noient leur peine dans des pots de glace. Dans Fragile, le chagrin d’amour touche tout le monde, et particulièrement ici un jeune homme d’origine algérienne, brisé par une demande en mariage qui tourne mal. 

La fragilité du titre renvoie à celle que l’on assène aux hommes comme une insulte. Un “t’es fragile” que l’on balance dès lors qu’il est question d’émotion et de chagrin d’amour, conjugués au masculin. Les rôles s’inversent, et Az se morfond au fond de son lit, enseveli sous une boîte de chocolat. Le jeune homme devient à son tour Bridget Jones et Vivian Ward le temps d’essuyer ses larmes. À travers les codes de la rom-com, Fragile déconstruit l’idée que les émotions, l’amour et les peines de coeur sont exclusivement féminines et propose une comédie romantique au masculin. 

Mais Fragile ne se contente pas de raconter la rupture amoureuse, le film se concentre sur l’après et sur la reconstruction. Entouré par sa bande d’amis, d’une bienveillance et d’un humour à toute épreuve, Az va apprendre à se découvrir. La force de caractère de Lila, son amie d’enfance, l’invite à dépasser ses propres limites et plus particulièrement les codes de la virilité. À travers la danse, Az développe une sensibilité et une sensualité insoupçonnés. Les gestes langoureux de la danse, supposés réservés à un public féminin, lui permettent de s'approprier son corps, et d’éveiller en lui une forme de sérénité. 

Pourtant, la pression est double pour Az puisqu’elle est autant patriarcale que classiste. Issus d’une cité, lui et sa bande doivent faire face à une discrimination insidieuse qui les pousse à dissimuler leur posture et leur langage face à la bourgeoisie blanche, afin de faire “bonne figure”. Si la discrimation raciale n’est pas au coeur du long-métrage, sa présence contribue à peser sur le destin d’Az. Mais l’issue ne peut qu’être heureuse dès lors que l’on s’affranchit des codes et que l’on embrasse pleinement son identité. 

Sous couvert d’être une comédie estivale, Fragile aborde sans complexe les tourments de la masculinité. Parfois parasité par un ton parodique, le premier long-métrage d’Emma Benestan tient dans son écriture et son tempo comique réussis. Un film attachant et plein d’énergie qui agit comme un baume au coeur dans un été particulièrement maussade. 


Réalisé par Emma Benestan

Avec Yasin Houicha, Oulaya Amamra, Raphaël Quenard...

Az travaille chez un ostréiculteur à Sète. Les huîtres il connaît ça par cœur, il les ouvre par centaines. Dans l’une d’elle, Az décide de cacher une bague, pour demander sa petite amie Jess en mariage. Elle ne dit pas oui. Heureusement, sa bande d’amis est prête à tout pour l’aider à sortir la tête de l’eau.

En salle le 25 août 2021