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J’ÉTAIS A LA MAISON, MAIS... - Angela Schanelec

Je suis le monde qui me blesse

En dépit d’un faible retentissement en France, la réputation du cinéma d’Angela Schanelec n’est plus à faire en Allemagne. Considérée comme l’une des fondatrices de l’école de Berlin aux côtés de Thomas Arslan et Christian Petzold, la réalisatrice écrit sur son œuvre comme elle la filme : d’une façon radicale et dépouillée. Remarquée pour son Des Places dans la Villeau Festival de Cannes, qui décrivait les premiers amours d’adolescents berlinois, elle est célébrée pour avoir épousé le désœuvrement des allemands de l’ouest au moment de l’effondrement du mur de Berlin. Avec J’étais à la maison, mais…, son dernier film couronné d’un Ours d’argent à la Berlinale 2020, la réalisatrice montre qu’elle n’a pas renoncé à ces convictions une vingtaine d’années plus tard. 

Après qu’il ait disparu pendant une semaine, le fils d’Astrid, Phillip, revient à la maison blessé et mutique. Ebranlée, la mère célibataire se met à chercher des réponses : où était passé son fils ? Et vers qui se tourner désormais ? 

L’intrigue est trompeuse. Alors qu’elle laisse imaginer un récit proche du thriller, la cinéaste, dont c’est le huitième long-métrage, bifurque et étreint le mystère au lieu de l’éclaircir, s’absout de l’autorité que lui confère son rôle. Le choix de faire appel à l’actrice Maren Eggert, également gratifiée d’un Ours d’argent à la Berlinale de 2021 pour sa performance dans I Am Your Man, est à cet égard particulièrement parlant, car Schanelec dit apprécier sa manière de « ne pas poser de questions ». L’interprète d’Astrid semble en effet détenir un secret que nous n’apprendrons jamais. Sa prestation est à la fois atone et nerveuse, détournée du regard extérieur. Oscillant entre le débordement et la mélancolie, Astrid est loin d’être une mère exemplaire. Mais on dirait que le film sous-entend qu’elle n’a pas à l’être. 

Par une mise en scène épurée où s’enchevêtrent les plans immobiles, Angela Schanelec met à nu la facticité des codes sociaux. Elle laisse la porte ouverte à ses personnages, la possibilité de s’évader de leurs fonctions narratives et sociales. Phillip, pré-adolescent, joue dans une adaptation d’Hamlet, une pièce qui livre son personnage aux affres du monde adulte dans lequel il ne trouve pas encore sa place. Pourtant, l’identification ne semble pas se faire dans son interprétation sans conviction. Et s’il pouvait juste glisser hors de sa peau d’enfant ? On peut le trouver trop avare en émotions, asocial ou négligeant envers son public. J’étais à la maison, mais… est un film long et difficile, qui se pourvoie d’une sauvagerie impossible à apprivoiser. Et en cela, son visionnage est une expérience d’errances et de méditations. 


Réalisé par Angela Schanelec

Avec Maren Eggert, Jakob Lassalle, Franz Rogowski ...

Alors qu’il avait totalement disparu, Phillip revient à la maison au bout d'une semaine, blessé au pied, sans aucune explication ni un mot pour sa mère, Astrid. Profondément affectée et avec l'aide d'un professeur de Philip, elle cherche à répondre à des questions a priori insolubles : où était-il passé ? À quoi a-t-il bien pu vouloir se confronter ?

En salle le 5 janvier 2022