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LE DERNIER DUEL - Ridley Scott

Parole d’évangile 

Initialement envisagé il y a près de quinze ans par Martin Scorsese, c’est Ridley Scott qui s’empare de l’adaptation du livre de Eric Jager, Le Dernier Duel : Paris, 29 décembre 1386. Le Dernier Duel raconte ainsi l’histoire vraie du dernier jugement de Dieu, qui opposait dans un duel à mort Jean de Carrouges et Jacques le Gris, accusé d’avoir violé Marguerite de Thibouville. Un récit dont la véracité a été longuement débattue par les historien‧nes, et dans lequel Eric Jager tranchait déjà en la faveur de Marguerite. Car si l’Histoire n’a jamais été tendre avec les femmes au point de les oublier, que dire alors lorsque la question du viol et de la vérité entrent en jeu ? 

Pour Ridley Scott, le doute n’a pas lieu d’être. Plus que de se rattacher au mouvement #MeToo auquel il fait malgré lui écho,Le Dernier Duel établit un pont entre deux époques et y appose des réflexions contemporaines : si plusieurs siècles nous séparent de la tragédie vécue par Marguerite de Thibouville, il est indéniable que celle-ci y trouve une forme de modernité. Ou plutôt que la question du viol est traitée aujourd’hui encore d’une manière archaïque. 

Duel pour la vérité

Ainsi, Ben Affleck, Matt Damon et Nicole Holofcener découpent le scénario en trois parties distinctes, et retracent en miroir l'événement qui précède le duel. Si le procédé n’a rien de novateur, il offre ici une possibilité à son personnage, mi-fictif, mi-réel, de s’approprier sa narration. On suit alors les récits selon Carrouges, Le Gris et de Thibouville, encadrés par la mention quasi biblique de la “vérité selon”, qui pourtant ne laisse jamais place au doute quant à celle qui est absolue. Un procédé qui tient dans la répétition, et qui, par son aspect ludique, parvient à ne pas ennuyer durant ses 2h30. 

Le film pose alors ses spectateur‧ices en position de juge; un comble pour un récit où la justice est placée entre les mains de Dieu. Car tout se joue dans les perceptions et les détails qui évoluent d’une version à l’autre, comme celui d’un baiser échangé, souvent négligés et mal interprétés par les deux personnages masculins, dont les comportements sont ancrés dans une vision essentiellement patriarcale. Culture du viol, viol et violences domestiques se côtoient et agrémentent le portrait bien peu flatteur d’une société qui semblent ne pas avoir évolué sur bien des aspects. 

Déjà dans Thelma et Louise, Ridley Scott abordait sa scène de viol avec la distance et la froideur nécessaire à ce genre de scène. Lorsque celle-ci advient par deux fois dans Le Dernier Duel, elle n’est jamais érotisée, quand bien même elle est vécue du point de vue de son agresseur. C’est dans l’intensité de la violence qu’elle se différencie : lorsque Marguerite raconte les faits, la caméra s’accroche à sa douleur, au plus près de son visage, pour ne jamais la quitter. La violence ressentie par Marguerite se prolonge jusque dans son quotidien : la sororité est inexistante, et pire encore, la pousse à se murer dans son silence. 

Car dans ce moyen-âge grisâtre, “seul compte le pouvoir des hommes”. Le Dernier Duel n’est jamais le combat d’un supposé camp du bien contre le mal, car tous deux finissent par se confondre. Ce duel, au-delà de marquer la fin d’une ère, est avant tout le combat d’une femme seule contre le patriarcat, qui se matérialise autant dans une virilité outrancière que dans la misogynie institutionnelle et scientifique. Si le film assume délibérément de privilégier la parole, l’action éclate dans sa scène finale sanglante et éprouvante. Deux virilités s’affrontent dans une joute à mort à la symbolique phallique évidente, pas par volonté de justice mais bien par fierté masculine.

Toujours en arrière-plan, Marguerite n’est qu’un faire-valoir dont la vie dépend de son mari. En lui laissant le plein pouvoir de sa propre narration, Le Dernier Duel interroge avec intelligence les fondements de la justice et de la vérité dans un film historique décidément bien trop moderne.


Réalisé par Ridley Scott

Avec Adam Driver, Matt Damon, Jodie Comer ...

Basé sur des événements réels, le film dévoile d’anciennes hypothèses sur le dernier duel judiciaire connu en France - également nommé « Jugement de Dieu » - entre Jean de Carrouges et Jacques Le Gris, deux amis devenus au fil du temps des rivaux acharnés. Carrouges est un chevalier respecté, connu pour sa bravoure et son habileté sur le champ de bataille. Le Gris est un écuyer normand dont l'intelligence et l'éloquence font de lui l'un des nobles les plus admirés de la cour. Lorsque Marguerite, la femme de Carrouges, est violemment agressée par Le Gris - une accusation que ce dernier récuse - elle refuse de garder le silence, n’hésitant pas à dénoncer son agresseur et à s’imposer dans un acte de bravoure et de défi qui met sa vie en danger. L'épreuve de combat qui s'ensuit - un éprouvant duel à mort - place la destinée de chacun d’eux entre les mains de Dieu.

En salle le 13 octobre 2021