LES AMOURS D'ANAÏS - Charline Bourgeois-Tacquet
Ode au désir
Pour son premier long métrage, Charline Bourgeois-Tacquet propose une ode au désir, et à Anaïs Demoustier, son Anaïs qui parcourt ses amours comme elle parcourt le monde. Les amours d’Anaïs, présenté lors du dernier Festival de Cannes, est venu fêter les 60 ans de la Semaine de la Critique. Un choix judicieux pour un film qui a tout d’une promesse. Une promesse d’été infini, de désirs assouvis, d’une vie affranchie de limite, d’un cinéma vivant, verbeux et poétique.
Anaïs est un courant d’air, elle court et parcourt le cadre, l’air de rien, essoufflée. La caméra peine à la suivre. Elle monte des escaliers en colimaçon plus vite que la lumière. Elle parle mais n’attend pas de réponse. C’est un personnage qui arrivera toujours à dévier la conversation vers elle, peut-être sans s’en rendre compte, peut-être consciemment. Anaïs a trente ans et se cherche encore. Ce qui est sûr, c’est qu’elle veut vivre intensément et ne veut pas avoir de regret. Alors, elle ne se pose jamais. Charline Bourgeois-Tacquet a conçu un pur personnage de cinéma, prise dans le mouvement de la pellicule qui défile, prise dans la narration qui ne peut jamais reculer, un personnage ancré dans le présent. Dans une certaine mesure, Anaïs ressemble à une jeune Katharine Hepburn : frondeuse, cascadeuse, désireuse de parcourir le cadre de long en large et de déclamer des tirades railleuses.
Vibrant et sensuel
Pris dans l’élan du personnage, le récit avance à toute vitesse. Une minute après sa rencontre avec Daniel (Denis Podalydès), elle devient sa maîtresse. Mais dans l’intimité du grand appartement parisien de cet éditeur, le personnage se désintéresse de lui, au profit de sa compagne, Emilie (Valeria Bruni Tedeschi), une autrice à succès partie écrire dans sa maison de province. Comme une spectatrice, c’est par l’image qu’elle tombe sous le charme d’Emilie, une photographie où on la voit de dos, les cheveux relevés, offrant son cou au désir de ceux et celles qui la regardent. Puis, se faufilant dans la chambre du couple, Anaïs creuse sa fascination pour cette femme inconnue à l’aide de ses cosmétiques : rouge à lèvre dans un écrin nacré, crème parfumée, … Elle ne la connaît pas mais Emilie a déjà une silhouette, un parfum, une présence pour l’instant fantomatique, sur le point de devenir une véritable obsession. Et parce que le hasard fait bien les choses, Anaïs et Emilie se rencontrent dans la rue, la seule fois où la première reste sans bouger et sans voix. Le désir pour cette femme, d’abord uniquement irréel, prend soudain vie.
Valeria Bruni Tedeschi nous paraît presque éteinte dans un premier temps, comparée à la pétillante Anaïs Demoustier, qui donne corps à son personnage, vibrant de vie. Mais on se rend vite compte qu’elle n’est pas éteinte, seulement en sommeil. Car Emilie, presque soixante ans, bien établie dans sa vie de femme et dans sa carrière, a totalement laissé tomber l’exaltation, le danger et l’imprévu. L'arrivée d’Anaïs dans sa vie est comme un raz de marée, une douche glacée qui réveille le sang dans les veines. Dans une séquence charnière, où le désir devient réciproque, Emilie raconte son amour d’un livre de Duras, qu’elle a emprunté à sa professeure de français dans sa jeunesse, sans jamais le lui rendre. Un livre qui avait déjà une vie auprès de son ancienne propriétaire, avec des annotations, des signes d’une lecture assidue, qu’Emilie a récupéré comme un trésor. Pour elle, ce livre est « vibrant et sensuel », une phrase qui devient métaphore de l’ensemble du film. D’un seul coup, le désir érotique est partagé et Anaïs n’est plus le seul personnage en mouvement. Emilie, qui était pour l’instant plus posée, plus statique, se meut dans une robe bleue légère, sous le regard d’Anaïs. La photographie devient film, la femme de papier glacée est maintenant palpable et rien ne pourra arrêter la jeune femme d’aller jusqu’au bout de son désir.
Invitation des sens
Dans l’atmosphère que convoque la mise en scène de la cinéaste, Paris fait corps avec le personnage principal, une ville en mouvement, étriquée comme un appartement ou une cage d’ascenseur des vieux immeubles Haussmanniens, un comble pour Anaïs, claustrophobe. C’est dans les paysages de la campagne, de la mer, que le désir se déploie, que la mise en scène prend le large et invite les corps à se déplacer librement. Si l’énergie reste, les mouvements (des personnages et de la caméra) se font plus lents, hésitants, timides peut-être. À Paris, Anaïs ne sait pas se tourner vers les autres, elle ne fait que déplacer les situations, les souffrances éventuelles. Hors de la ville, le personnage, encore en pleine construction, se tourne vers Emilie et boit ses paroles.
Les amours d’Anaïs se présente comme une invitation des sens et se vit intensément, à l’image de son héroïne. Qu’importe les petites maladresses, les essais de mise en scène hasardeux ou une petite baisse de régime dans son climax, le film s’impose comme une ode à l’instant présent et il serait dommage de louper cette invitation.
Réalisé par Charline Bourgeois-Tacquet
Avec Anaïs Demoustier, Valeria Bruni Tedeschi, Denis Podalydès ...
Anaïs a trente ans et pas assez d’argent. Elle a un amoureux qu’elle n’est plus sûre d’aimer. Elle rencontre Daniel, à qui tout de suite elle plaît. Mais Daniel vit avec Émilie… qui plaît aussi à Anaïs. C’est l’histoire d’une jeune femme qui s'agite. Et c’est aussi l’histoire d’un grand désir.
En salle le 15 septembre 2021