Sorociné

View Original

LES CHOSES HUMAINES - Yvan Attal

Une culture du viol à la française

Quelques semaines seulement après Le Dernier Duel de Ridley Scott, le nouveau long métrage de Yvan Attal sort dans nos salles hexagonales. Il s’agit d’une adaptation du livre éponyme de Karine Tuil, publié en 2019, Les choses humaines. Les deux films comportent de nombreux points communs : un procès pour viol, des points de vue qui s’affrontent pour mieux sonder la société qu’ils filment et une culture du viol toujours présente, bien que différente, malgré les siècles qui séparent les récits. 

Confrontation de points de vue

On ne pensait pas Yvan Attal passionné par le sujet du consentement au vue de ses positions sur le mouvement #MeToo, mais il faut croire que nous avions tort. Il prend le sujet avec tout le sérieux qu’il mérite et signe un film carré où il décortique les rapports de force et de classe d’une main de maître, non sans quelques couacs cependant. Deux points de vue se rencontrent : celui d’Alexandre (Ben Attal), jeune homme de vingt-deux ans à la brillante carrière toute tracée et celui de Mila (Suzanne Jouannet), encore lycéenne. Le premier est le fils d’un grand journaliste de télévision et d’une essayiste féministe à qui l’on demande son opinion sur des faits d’actualité à la radio. Mila, elle, est issue d’une famille juive très pratiquante et de classe sociale moyenne, tandis qu’Alexandre baigne dans la bourgeoisie des grands appartements parisiens. Il a été au lycée Henri IV, fait actuellement ses études à Stanford, aux États-Unis. Il était peu probable, vu leur âge et leur milieu social, que ces deux âmes se rencontrent. Mais le hasard s’en mêle, douloureusement. 

Les choses humaines se découpent en trois parties : lui, elle et le procès. Pas de prénoms dans les intertitres, juste les pronoms, comme si on les dépossédait déjà de leur histoire. Le film commence par Alexandre. Alors qu’il revient brièvement en France, il en profite pour rencontrer le nouveau compagnon de sa mère, un professeur de lettres, et sa fille Mila. Son portrait est tissé au travers de ses relations. Il y a ses parents tout d’abord. Aucun des deux ne trouve le temps d'accueillir leur fils à l’aéroport. Il rentre donc seul, dans l’immense appartement paternel pour y trouver la gouvernante, qui lui prépare son plat préféré. Pierre Arditi interprète ce père imposant, séducteur et arrogant, tandis qu’on lui annonce qu’il sera remplacé dans son émission par quelqu’un de plus jeune. Il se qualifie lui-même « d’homme à femmes » et n’hésite pas une seconde à mettre dans son lit son assistante à peine plus âgée que son fils. De l’autre côté, Claire, la mère (Charlotte Gainsbourg) est une féministe convaincue que le viol doit être puni, quel que soit le violeur. Bien que le couple soit séparé, leur relation tient sur une domination encore présente. Jean fait remarquer à Claire que son intervention à la radio manquait de clarté et lui donne les arguments qu’elle aurait dû placer. Elle acquiesce et s’excuse immédiatement. Le film s'attarde sur l'éducation d'Alexandre et enterre la figure du monstre sans âme au cinéma, le viol étant plus une affaire de construction sociale et d’éducation que d’un état de folie passagère. Alexandre est également montré par le biais d’une ancienne relation intime, avec une femme plus âgée que lui. Le ton pressant qu’il utilise pour qu’elle accepte de le voir, malgré ses refus répétés, la violence des mots qu’il écrivait dans leur échange de texto, peint le portrait d’un homme pour qui les limites se doivent d’être dépassées quand il s’agit de sexe. Il n’attend pas son consentement pour l’embrasser dans le bar de l’hôtel où il la retrouve. Et il ne voit pas le problème car elle répond à son baiser passionné. Les rapports intimes comportent de son point de vue une touche de domination, voir même de violence. 

Ce qui n’est pas le cas de Mila, éduquée dans la négation du sexe afin de rester pure pour son mariage. Dans sa partie, son éducation et sa vie sont esquissées mais le récit ne prend pas le temps de s’y intéresser autant que pour Alexandre. Quand on récupère son point de vue, le viol a déjà eu lieu. Nous la suivons dans son traumatisme et dans sa décision de porter plainte. Le récit prend alors le temps de montrer la réticence des policiers à accepter sa plainte, les questions où il faut revivre le crime par les mots, la visite médicale afin de prélever des preuves de ses dires. Quand les paroles de Jean, le père d’Alexandre, surgissent “elle l’accuse pour se rendre intéressante”, les images de son combat deviennent allors une preuve qu’on ne porte pas plainte par confort ou pour faire le buzz. La narration possède cependant un déséquilibre qui ne s’explique pas vraiment. Mila n’existe que par son viol. Alors que la construction laissait à penser que les deux personnages s'opposaient équitablement, il semble que le film ne possède qu’un seul personnage principal : Alexandre. Mila est comme l’élément déclencheur du drame. Sa partie est impersonnelle, elle pourrait être remplacée par n’importe quelle jeune femme. Peut-être parce que son histoire est malheureusement commune. Peut-être aussi parce que, pour les médias, l’identité de l’accusé prévaut sur celle qui accuse. Les femmes n’ont pas de nom ni identité propre, elles sont « une femme ». Le roman adapté par Yvan Attal et Yaël Langmann s’est inspiré de l’affaire de Stanford, en 2016. Depuis le procès, le monde entier connaît le nom de Brock Turner, tandis que Chanel Miller, la jeune femme qui l’a accusée, reste dans l’ombre même si on connaît son identité.

Notion de consentement

La troisième partie est consacrée au procès. La mise en scène s’attache à montrer les différents rouages de la justice. Les plaidoiries sont des tirades dignes du théâtre, avec différents enjeux. L’avocate de Mila insiste sur l’existence d’une culture du viol, sur une société patriarcale qui musèle la parole des femmes. La défense, elle, attaque l’accusation et veut semer le doute. Un combat où les deux personnages doivent rester silencieux, laissant la justice décider de leur avenir. Yvan Attal se permet ici, par petites touches, d’émettre son avis sur l’actualité. La réplique de l’avocate « je me lève Mila, mais je ne me casse pas » ferait-elle écho à la cérémonie des Césars 2020 ? Les expressions “tribunaux médiatiques”, les attaques sur les réseaux sociaux et les nombreux mouvements qui en découlent, montrent bien où se positionne le réalisateur. 

Mais au-delà de son aspect clinique se cache toute une réflexion sur la fameuse zone grise du consentement et la façon dont la classe sociale détermine un comportement. En parallèle au procès, le montage nous montre la vérité. L’image est granuleuse et ressemble à une image d’archive. Le passé est déterré par le présent. La mise en scène s’intéresse alors aux détails, comme à ces discussions des camarades d’Alexandre lors de la soirée, parfait exemple de l’entre-soi, où le groupe devient une force. Humilier les autres, surtout les femmes, n’est qu’un jeu, où les conséquences sont minimes. Est-ce un hasard si celui-ci choisit Mila, une intruse dans son monde ? Elle est l’agneau dans le troupeau de loups. Une victime facile pour le jeu qui consiste à ramener sa culotte au groupe. Et pour cela, Alexandre usera des mêmes mots qu’il a déjà utilisés lors d’échange de sextos avec son ancienne partenaire. Des mots crus, des insultes, qui dans le cadre d’un rapport consenti, peuvent être utilisés. Son avocat se servira de cette relation pour démontrer qu’il n’a jamais voulu être violent, même si cela démontre plutôt une absence d’éducation au consentement. Qui ne dit mot, consent ? Eh bien non, nous dit l’avocate de Mila. Le silence n’équivaut pas à un consentement tacite. Surtout dans le cas d’un viol, où la sidération empêche parfois les victimes de bouger ou d’émettre le moindre son. Le viol perpétré sur Mila restera hors de portée de notre regard, mais le doute ne sera pas permis. Alors que la porte s’ouvre et qu’Alexandre sort en vitesse, la caméra reste statique et ne le suit pas. Mila sort à son tour et s’avance dans le champ, elle s’arrête, le visage baignée de larmes. C’est sur cette image que se termine Les choses humaines, un visage en souffrance, replaçant ainsi au centre du cadre les émotions de la victime.

Mis en opposition, les différents points de vue sondent cependant qu’une seule et même vérité : celle d’un monde où les rapports de force façonnent les relations. Les choses humaines passe au crible la prise de parole  — et la façon dont elle est prise en compte par rapport au genre — et dévoile une société où la classe sociale prime sur les actions. Ce n’est évidemment pas une révélation, au vue de l’actualité, mais être confronté à cette réalité ne fait jamais de mal.


les choses humaines

Réalisé par Yvan Attal

Avec Ben Attal, Suzanne Jouannet, Charlotte Gainsbourg...

Un jeune homme est accusé d’avoir violé une jeune femme. Qui est ce jeune homme et qui est cette jeune femme ? Est-il coupable ou est-il innocent ? Est-elle victime ou uniquement dans un désir de vengeance, comme l’affirme l’accusé ? Les deux jeunes protagonistes et leurs proches vont voir leur vie, leurs convictions et leurs certitudes voler en éclat mais… N’y a-t-il qu’une seule vérité ?

En salle le 1er décembre 2021