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L'ÉVÉNEMENT - Audrey Diwan

Une affaire de femme 

« Vous n’avez pas le choix ». En cinq mots, la messe est dite. Ces mots, ce sont ceux du médecin s’adressant à Anne, 23 ans, enceinte et désirant avorter. Pas le choix que d’accepter son sort et ce bébé qu’elle n’a pas désiré, dans ces années 60 où la pilule n’existe pas et l’avortement est illégal et passible d’emprisonnement. Mais c’est ne pas connaître la détermination d’Anne, qui tient à continuer ses études de lettres afin de devenir professeur.

Au départ, elles sont trois. Anne, et ses amies de fac Hélène et Brigitte, font tout ensemble : elles révisent, dansent le samedi soir, partagent leurs émois. Jusqu'à ce qu'Anne leur apprenne la nouvelle de sa grossesse, provoquant sans le vouloir sa mise à l'écart du groupe. Car face à ce « malheureux » événement, c’est sur elle-même, uniquement, qu’Anne devra compter. Chacune pour soi. Et il ne saurait être question de continuer ses études enceinte. Les années 60 voient les bancs de la fac se vider, au gré des abandons des étudiantes qui se marient et sont expédiées au foyer.

Qu’est-ce qu’un avortement ? Pour Audrey Diwan, qui adapte avec L'Événement le livre éponyme d’Annie Ernaux, ce n’est jamais une décision prise à la légère, contrairement à ce que ses opposants affirment. Grâce à une mise en scène secouée, au plus près du visage d’Anamaria Vartolomei – la caméra étant littéralement collée à elle – on vit son calvaire, on ressent sa solitude, on endure sa souffrance. La réalisatrice plonge le spectateur dans la violence d’un avortement clandestin. Un parcours semé d'embûches : le médicament pour renforcer le foetus prescrit en douce par un médecin anti-avortement, l’incompréhension de ses amies, la méthode de l’aiguille à tricoter, les rendez-vous chez la faiseuse d’anges qui coûtent une petite fortune... Tout cela sous-tendu par la peur viscérale du temps qui s'écoule, synonyme du fœtus qui grandit et de l’impossibilité croissante d’avorter. Les semaines qui passent sont comme les secondes d’une bombe à retardement, sur le point d’exploser. 

Dans ce corps devenu prison, c’est seule qu’elle devra vivre ce parcours du combattant. Ce qui choque le plus, c’est à quel point Anne doit se faire du mal pour pouvoir faire ce qu’elle désire. L’accomplissement de son destin passe par une souffrance extrême, physique et psychologique, qu’elle s’inflige à elle-même et qui touche à l’intégrité même de son corps. Une souffrance qui n’est, cela va sans dire, que féminine. Parce que les hommes sont étrangers à cette souffrance, on assiste à leur démission, tous autant qu’ils sont : le professeur d’Anne (Pio Marmaï) ne voit pas sa détresse, son médecin compatit mais lui demande d’accepter sa condition, son ami (Kacey Mottet-Klein) lui propose de coucher ensemble puisqu’ils ne risquent rien. Une démission que la réalisatrice ne condamne pas car, pour elle, elle est « le reflet d’une méconnaissance, d’une époque où on n’enseigne pas aux hommes ce qu'est la condition de la femme ».

La musique, sobre et percutante, d’Evgueni et Sacha Galperine (qui ont signé récemment les géniales bandes originales de Gagarine et Faute d’amour), l’image bleutée de Laurent Tangy, la caméra immersive d’Audrey Diwan : tous les éléments de la mise en scène contribuent à faire de L'Evénement un film intime et puissant. Grâce à l’importance donnée aux détails, la reconstitution historique est discrète et réaliste. Par exemple, pour montrer qu’elle ne vient pas d’une classe sociale élevée, le personnage d’Anne porte tout le temps les mêmes vêtements, fait rare au cinéma. L’actrice, dont Annie Ernaux a dit qu’aucune autre n’aurait pu incarner Anne, crève l’écran. Révélée enfant dans My little princess, admirée dernièrement dans L’échange des princesses et Just kids, Anamaria Vartolomei fait partie de ces rares actrices dont la grâce, le charisme et le mystère sont palpables. Déterminée, mutique, au regard soutenu, avec son visage comme arme principale, elle avance comme un bulldozer. Après Mais vous êtes fous, Audrey Diwan signe avec seulement son second film une œuvre politique poignante, qui mérite amplement le Lion d’or reçu à la Mostra de Venise. Ce destin de jeune femme française des années 60 a quelque chose d’universel, dans lequel chaque femme pourra se reconnaître. Et, espérons, avec lequel chaque homme pourra s’identifier. 


Réalisé par Audrey Diwan

Avec Anamaria Vartolomei, Kacey Mottet Klein, Luàna Bajrami

France, 1963. Anne, étudiante prometteuse, tombe enceinte. Elle décide d’avorter, prête à tout pour disposer de son corps et de son avenir. Elle s’engage seule dans une course contre la montre, bravant la loi. Les examens approchent, son ventre s’arrondit.

En salle le 24 novembre 2021