Sorociné

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PROFESSION DOCUMENTARISTE - Film collectif

Se raconter pour raconter le monde

En 2009, les espoirs des iranien⋅nes tombent à l’eau le jour de la réélection de Mahmoud Ahmadinejad. Le peuple s’insurge et des manifestations sont réprimées de façon particulièrement violente par le gouvernement. Par la suite, les femmes artistes, notamment celles très impliquées dans le militantisme au travers de leur art, se font arrêter.  Les cinéastes indépendantes se voient refusées toute demande de financement pour leur film, d’autres sont interrogées sur la façon dont elle filme le pays et dont elles en parlent à l’étranger. Les lieux underground des cinéastes, au sein de Téhéran, sont fermés les uns après les autres. 

De cette atmosphère de censure, sept réalisatrices décident d’en faire un film. Si elles ne peuvent pas filmer dans les rues, qu’à cela ne tienne, elles filmeront chez elles. Si elles ne peuvent pas parler politique, elles parleront de leur famille et de leur passé. Profession : documentariste est mené par sept réalisatrices et productrices, Nahid Rezaei et Shirin Barghnavard, Firouzeh Khosrovani, Farahnaz Sharifi, Mina Keshavarz, Sepideh Abtahi et Sahar Salahshoor, qui ouvrent une fenêtre sur l’Iran post-2009. Chacune se raconte et questionne son identité en tant que femme et réalisatrice. Leur parcours, leurs idées, leurs images donnent à voir un pan de ce pays qu’elles aiment tant et qui les empêchent de vivre pleinement de leur art. Le film est présenté dans le cadre du cycle « Femmes d’Iran, devant et derrière la caméra », proposé par Images en bibliothèques, pendant le mois du documentaire.

Un film peut en cacher un autre

Dans le troisième segment du film, réalisé par Farahnaz Sharifi, elle nous confie en voix-off un film qu’elle n’a jamais pu réaliser. “Nous avons des films qui peuvent se réaliser seulement dans nos esprits. Alors, parfois, on se les raconte”. Son témoignage, poignant, sur ce film jamais réalisé et pourtant présent devant nos yeux, forme une métaphore filée de l’ensemble du documentaire. Que faire quand son métier devient officieusement interdit ? Que nos idéaux doivent être tenus secrets ? Que les films que l'on crée sont voués à rester inachevés et cachés ? Profession : documentariste propose une réponse en montrant que l’art ne s’arrête jamais et se modifie. En prenant la forme d'un journal intime, le film parle avant tout des cinéastes. Certaines n’hésitent pas à montrer des photos de famille, d’autres à raconter des anecdotes de leur enfance. Le segment de Sahar Salahshoor la montre en plein déménagement et s’enroule autour de ses gestes pour envelopper délicatement les objets qui lui appartiennent. Mais si nous lisons entre les lignes, si nous regardons entre les images, c’est un tout autre propos qui nous apparaît. Les photos deviennent des images d’archives, avant la révolution de 1979. Les anecdotes se transforment en marqueurs du temps, l’histoire d’un pays en pleine mutation. Et derrière un simple déménagement se dévoile une peur sourde du gouvernement, avec une fenêtre donnant directement sur une prison. 

Leur profession apparaît alors comme quelque chose d’immuable, fait pour contrer l’invisible. Shirin Barghnavard se questionne sur la guerre Iran/Irak et la façon dont elle est perçue à l’intérieur de la capitale. Firouzeh Khosrovani évoque frontalement la peur de la censure à l'issue d’un festival international à l’étranger, dont elle revient tout juste. Farahnaz Sharifi s’interroge sur l'absence de musique dans le pays au travers de son idole de jeunesse, Googoosh. Mina Keshavarz explique son déchirement dans son choix d’aller étudier le cinéma à l’étranger. Sepideh Abtahi nous livre son abattement et la fin de son innocence, où se mélange le début de la révolution et la mort de sa tante. Sahar Salahshoor nous partage sa peur croissante de finir en prison, une angoisse qui l’empêche de créer. Et enfin, Nahid Rezaei partage l’espoir au sein des quelques lieux de solidarité entre cinéastes et artistes. Son segment termine en beauté un film fabriqué en majorité dans l’intimité d’une chambre ou d’un lieu familial. Sortant dans la rue en 2013, au moment de l'élection de Hassan Rohani, la cinéaste exprime, par ses images de rassemblement et d'exposition de joie, la légitimité de leur art.

Profession : documentariste est une profession de foi et montre le désir ardent de prendre une caméra afin de capturer le monde et de le livrer tel quel, qu’importe le danger. Sept voix n’en forment plus qu’une, grâce à la magie du montage. Elles s'élèvent et expriment une passion, un besoin, un désir de faire du cinéma et de le partager.

Cycle « Femmes d’Iran »


Réalisé par Nahid Rezaei, Shirin Barghnavard, Firouzeh Khosrovani, Farahnaz Sharifi, Mina Keshavarz, Sepideh Abtahi et Sahar Salahshoor

À la lumière des récentes crises politiques, sociales et économiques en Iran, sept réalisatrices de documentaires indépendantes témoignent de leurs vies personnelles et professionnelles, de leurs préoccupations et de leurs défis.