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THE LOST DAUGHTER - Maggie Gyllenhaal

Les deux femmes et la mer

Il y a des années qui apportent malgré tout leur lot de satisfactions : en 2021, après un festival de Cannes enflammé, la Mostra de Venise a mis en lumière plusieurs femmes réalisatrices et scénaristes dans son palmarès. Parmi celles-ci, Maggie Gyllenhaal, que l’on connaissait comme actrice, nous revient cette fois comme réalisatrice et scénariste, lauréate du prix du meilleur scénario pour son premier film. Adaptation du roman Poupée Volée de la romancière anonyme Elena Ferrante, elle-même autrice de la saga napolitaine L’amie prodigieuse au succès mondial, The Lost Daughter explore avec mystère et retenue les liens tortueux entre maternité et liberté, avec au premier plan une Olivia Colman troublante et magistrale.

Professeure en littérature comparée, proche de la cinquantaine et divorcée, Leda s’offre des vacances solitaires dans un village grec en bord de mer. Son havre de paix est troublé par l’arrivée d’une famille tonitruante, dont la jeune mère Nina fait résonner en elle l’écho d’un étrange deuil filial – ou en tout cas, ce qui semble en être un.

Mères parallèles

Avec les personnages de Leda et Nina qui se confrontent, Maggie Gyllenhaal exprime toute ambiguïté de la maternité, au croisement entre sentiment intime et construction sociale. Le poids des injonctions associées au statut de mère est écrasant pour les deux femmes : Nina, à fleur de peau, étouffe sous l’énergie débordante de sa petite fille qu’elle est seule à prendre en charge. Sa situation amène Leda à se remémorer ses années de jeune mère, transfuge de classe, tiraillée entre le début de sa carrière professionnelle et l’éducation de ses deux filles, qu’elle porte à bout de bras face à un conjoint absent. Dans The Lost Daughter, on murmure à demi-mot que la maternité n’est pas toujours heureuse, et qu’elle s’accompagne d’une série de sacrifices silencieux ; jusqu’à ce que Nina mette des mots sur sa dépression, à destination de son interlocutrice comme du public qui l’écoute.

Dans les deux familles mises en scène, les maris et les pères sont les grands absents. Avec Leda, Nina, mais aussi Callie, figure imposante de matriarche protectrice, The Lost Daughter est un ballet entre les trois femmes, qui permet de mettre en images la fascination pour l’altérité féminine qui définit l’œuvre d’Elena Ferrante. Elles s’observent, se déchiffrent, s’affrontent et se confient, à la lisière entre la sororité, la curiosité et la méfiance. La caméra épouse le regard de Leda sur la figure magnétique de Nina : un regard d’abord intrigué, qui s’attarde de plus en plus sur les détails, jusqu’à la réminiscence d’une voix, d’une mèche de cheveux, d’une sensation d’étouffement.

Face à Nina, Leda est renvoyée à une culpabilité qui la ronge, celle de ne pas avoir endossé jusqu’au bout son rôle de mère. Elle se définit elle-même comme une mère « contre nature », tentée par la liberté jusqu’à y céder pour sauver une vie qui lui échappe ; lors des aveux, les trois mots « it felt amazing » lui échappent comme la preuve irréfutable de sa monstruosité et sa marginalité. Ce qui définit Leda, c’est bien la solitude, marqueur de sa liberté et source du mystère qui l’enveloppe ; et la caméra de Maggie Gyllenhaal s’applique à mettre cette solitude en scène, par un cadrage qui l’isole en permanence des autres personnages, ou par des décors peu marqués, presque désincarnés, qui résonnent avec la sobriété qu’elle incarne.

Psychologie à l’image

Il n’était pas chose aisée d’adapter Elena Ferrante à l’écran, et le succès en demi-teinte de l’adaptation en série de L’amie prodigieuse l’a bien montré. Comment retranscrire à l’image le labyrinthe psychologique, la conscience de classe et les rapports de force silencieux qui caractérisent l’œuvre de la romancière ? Dans The Lost Daughter, le cheminement psychologique de Leda laisse nécessairement un goût de frustration ; et les dernières scènes présentent une rédemption un peu vite expédiée, qui laisse vaguement perplexe. Quant aux rapports de force entre la famille, le personnel de plage, et Leda, ils sont exprimés par une atmosphère trouble, mais auraient mérité quelques dialogues supplémentaires pour justifier cette tension qui est surtout présente à travers le ressenti de Leda.

Pour autant, malgré un recours aux flashbacks qui devient parfois un peu poussif, Maggie Gyllenhaal propose un beau premier film ; elle réussit le pari de l’adaptation en faisant appel à une mise en scène suggestive et sensorielle, qui était la meilleure manière d’exprimer à l’écran l’introspection silencieuse du personnage, plutôt qu’une voix off convenue. The Lost Daughter fait le choix d’une réalisation sobre, pleine de retenue et d’élégance, qui mène son public vers plusieurs fausses pistes pour lui faire comprendre le poids des aveux de Leda. 

Maggie Gyllenhaal a affirmé dans plusieurs entretiens qu’en négociant les droits pour l’adaptation de Poupée volée, Elena Ferrante lui a demandé qu’elle en soit bien la réalisatrice, faute de quoi le contrat serait non valide. On n’en sait pas plus sur ses motivations, mais cette requête démontre la nécessité de mettre en lumière les réalisatrices, pour qu’elles mettent des mots et des images sur des histoires qui leur appartiennent.


the lost daughter

Réalisé par Maggie Gyllenhaal

Avec Olivia Colman, Jessie Buckley, Dakota Johnson ...

Lors de vacances à la mer en solitaire, Leda est fascinée par une jeune mère et sa fille qu'elle observe sur la plage. Bouleversée par leur relation fusionnelle (ainsi que par leur grande famille bruyante et intimidante), Leda est submergée par la terreur, la confusion et l'intensité de ses souvenirs de maternité précoce. Un acte impulsif la replonge dans les méandres étranges et inquiétants de son esprit, l'obligeant à affronter les choix peu conventionnels qui ont été les siens en tant que jeune mère et leurs conséquences.

Sur Netflix depuis le 31 décembre 2021