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UNE FEMME DU MONDE - Cécile Ducrocq

Belle de nuit

Il était temps qu’une réalisatrice s’empare de la figure de la prostituée au cinéma, afin de la démystifier et d’en proposer une représentation plus juste et réaliste. C’est chose faite avec Une femme du monde, premier long-métrage de la scénariste Cécile Ducrocq, qui signe avec ce film une suite de son court-métrage La contre-allée, déjà sur une prostituée, et lauréat du César du meilleur court-métrage en 2016. On y suit Marie, prostituée et mère d’un adolescent en échec scolaire et souhaitant intégrer une prestigieuse école de cuisine. N’ayant pas les moyens de payer les frais d’inscription, Marie tente de rassembler la somme nécessaire, allant jusqu’à s’exiler dans une maison close en Allemagne. Un endroit où elle s’était jurée de ne jamais mettre les pieds. 

Le film a l’avantage de donner une image nouvelle des prostituées, celles qui ont choisi ce métier et ne cherchent pas à le quitter à tout prix. L’histoire du cinéma regorge de personnages de prostituées, écrites et filmées le plus souvent selon des fantasmes masculins. La Belle de jour de Buñuel est séduisante mais c’est une prostituée bourgeoise qui le fait par désir sexuel, vision ô combien fantasmée. Des représentations erronées qui nous renvoient à notre rapport à la prostitution, sujet tabou, qui divise hommes et femmes, féministes autant que machos, abolitionnistes et pro-prostitution. Entre tous ces camps, la réalisatrice place le curseur au plus près d’une réalité qu’elle a observée et interrogée. Tout en dénonçant la traite des prostituées, le plus souvent d’origine africaine, sous la coupe de proxénètes, Cécile Ducrocq dépeint une prostituée qui a choisi d’exercer ce métier en toute liberté et qui s'assume. Qu'importe si le spectateur ne connaît pas les raisons de ce choix, elle n’est pas une victime mais une battante. Incarnée par la flamboyante Laure Calamy, Marie organise sa journée entre ses nouveaux clients, à qui elle explique les gestes, et ses habitués, dont les visites sont de moins en moins fréquentes. Elle travaille quand elle en a envie et manifeste avec ses amies du Strass (Syndicat du travail sexuel en France) contre la loi qui a rendu leurs conditions de travail encore plus éprouvantes. L’exubérance de Marie / Laure Calamy n’est pas sans rappeler celle d’Anna Magnani dans Mamma Roma de Pasolini. Une mère courage fière et haute en couleur, souhaitant un avenir plus radieux que le sien pour son fils. 

La réalité n’est pas rose pour autant. Les tarifs baissent, dûs à la concurrence déloyale des prostituées étrangères. Les difficultés s’accumulent quand il s’agit de se frotter à la réalité de la société, pas prête à aider une soi-disant « fille de mauvaise vie » quand celle-ci souhaite emprunter de l’argent et donner à son fils les moyens de réussir. La société dans laquelle Marie évolue est hypocrite, tolère ses prostituées mais pénalise les clients. Une société qui n’accepte pas qu’une femme vende son corps. Cette hypocrisie que Maupassant, déjà, décrivait dans Boule de suif (1880), lorsque les voyageurs d’une diligence fuyant Rouen forçaient une prostituée à se donner à un militaire prussien, avant de ne plus lui adresser la parole, une fois le service rendu. 

Ayant fait ses armes de scénariste dans les plus grandes séries françaises (Dix pour cent, Le bureau des légendes) puis en tant que showrunneuse du récent L’opéra, Cécile Ducrocq signe un scénario parfaitement ficelé. La réalisation, haletante, nous lie au destin de cette femme, qui se jette à corps perdu dans le projet d’avenir de son fils, comme si c’était le sien. Une manière de se dire qu’elle a réussi, elle aussi. Car Une femme du monde n’est pas un film sur la prostitution en soi, ni un film à thèse, mais bien plus. En racontant un instant de vie d’une prostituée, mère de famille avant tout, il nous fait le récit d'une réalité d'une maternité, celle des mères célibataires et désargentées, universelles.


Réalisé par Cécile Ducrocq

Avec Laure Calamy, Nissim Renard, Béatrice Facquer...

À Strasbourg, Marie se prostitue depuis 20 ans. Elle a son bout de trottoir, ses habitués, sa liberté. Et un fils, Adrien, 17 ans. Pour assurer son avenir, Marie veut lui payer des études. Il lui faut de l'argent, vite.

En salle le 8 décembre 2021