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UNE HISTOIRE D'AMOUR ET DE DÉSIR - Leyla Bouzid

Tourbillon d'amour

On avait amoureusement laissé Leyla Bouzid en 2015 avec son premier long-métrage, À peine j'ouvre les yeux, multi-récompensé dans les Festivals internationaux. C'est avec le coeur battant à la chamade qu'on la retrouve avec un deuxième film solaire, chaleureux et sensuel qui contre, sans aucun doute, la morosité d'une rentrée grisâtre.

C'est au sein d'une rupture ambiante qu'Une histoire d'amour et de désirsort en salles. Ces quelques mots, choisis avec soin sont annonciateurs du récit qui se déroule devant nous : Ahmed (brillamment incarné par Sami Outalbali), jeune étudiant en lettre va rencontrer et tomber amoureux de Farah (remarquablement interprétée par Zbeida Belhajamor), une étudiante d'origine tunisienne qui vient d'arriver en France. Deux esprits, deux corps et deux éducations différentes. Pour autant, nous ne sommes pas dans un Roméo et Juliette façon millennial, loin de là ! Si Leyla Bouzid filme la naissance d'une histoire d'amour et des désirs qui viennent avec celle-ci, elle est plus authentique, plus ancrée dans une réalité bien plus joyeuse où la découverte de soi entraine la découverte de sa propre histoire. C'est d'ailleurs le tour de force du film : réussir à parler de l'intime le plus profond, physiquement et spirituellement, tout en parlant au plus grand nombre.

Des corps et des lettres

La naissance de la sensualité et de l'érotisme à l'heure du tout numérique né, chez la réalisatrice franco-tunisienne, à travers les livres et les écrits. Loin de vouloir capturer une mélancolie moderne, la cinéaste accorde l'importance au papier comme elle filme les corps de ses personnages : avec tendresse et minutie. Une main qui glisse sur la page d'un livre déjà bien corné, des regards timides lancés entre les étagères d'une librairie de livres d'occasions, la récitation d'un texte érotique. Ahmed découvre les écrits comme il découvre la sexualité. L'un et l'autre fait d'ailleurs intégralement partie de lui et de son héritage. Une justesse remarquable que la réalisatrice retranscrit. Alors que le jeune garçon est dans une famille silencieuse, aimante mais remplie de non-dits, il va découvrir que son héritage littéraire n'est pas aussi pudique qui le croit. Tout est affaire de transmission : Farah lui transmet un poème érotique écrit en arabe, lui, incapable de le déchiffrer va le passer à un ami, furieux de cette affront mais ignorant lui aussi la complexité d'un héritage qui ne s'arrête pas aux transmissions orales.

Ce n'est pas un hasard si Ahmed est un garçon plutôt timide et silencieux. Leyla Bouzid joue davantage avec les regards de son personnage tandis qu'elle offre à Farah une parole plus importante. Si ces traits de caractère favorisent la naissance d'un désir chez ses personnages, elle en fait également le portrait d'une génération qui redéfinit les codes. Ici, la masculinité est plus douce et nuancée. Farah guide Ahmed même lorsque ce dernier se prête à l'exercice d'un exposé oral. Il la regarde. C'est le cas également au sein d'une scène d'amour magnifique où ils s'offrent l'un à l'autre dans les rayons d'un soleil qui se couche. La masculinité se réinvente également dans sa propre succession puisque c'est le père d'Ahmed, Hakim, qui finira par lire, dans un geste bienveillant, à son fils le poème érotique offert par Farah.

Capturer la lumière

C'est dans un écrin orangé, jaune et toujours chaud, que Leyla Bouzid construit son récit. Des visages d'inconnus dans un RER jusqu'aux plans serrés sur les visages de ses interprètes, la photographie de Sebastien Goepfert se mêle à la vision de la réalisatrice et l'on devine assez naturellement que le duo contemplait la même direction. Cette douce lumière se fait le reflet de l'histoire : elle raconte autant la chaleur de l'intime que le soleil des racines maghrébines. En découvrant les deux, le portrait d'Ahmed, se fait aussi intime que politique. La metteuse en scène offre une attention bienveillante sur ces personnages habitués à la brutalité des regards de cinéaste coincés dans les clichés. Leyla Bouzid tout comme ses personnages se font les écrivain·es de leurs propres histoires.

Une histoire d'amour et de désir est un film d'une douceur réconfortante qui, par la justesse de son récit et des thématiques qu'il aborde, transmet un héritage aussi intime qu'universel. Leyla Bouzid prouve, une nouvelle fois, qu'elle est une réalisatrice importante dont le regard, tourné vers l'avenir, permet d'embrasser une mise en scène riche et moderne.


Réalisé par Leyla Bouzid

Avec Sami Outalbali, Zbeida Belhajamor...

Ahmed, 18 ans, est français d’origine algérienne. Il a grandi en banlieue parisienne. Sur les bancs de la fac, il rencontre Farah, une jeune Tunisienne pleine d’énergie fraîchement débarquée de Tunis. Tout en découvrant un corpus de littérature arabe sensuelle et érotique dont il ne soupçonnait pas l’existence, Ahmed tombe très amoureux de cette fille, et bien que littéralement submergé par le désir, il va tenter d’y résister.

En salle le 1er septembre 2021