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UNE VIE DÉMENTE - Raphaël Balboni et Ann Sirot

Éclipse d'été

Une scène de feu de camp, tirée de l’anthologie gothique The Haunting de Mike Flanagan. Owen Sharma, le cuisiner du manoir Bly, porte un toast bouleversant à sa mère décédée après un long combat contre la démence. Elle était son ancre et son fardeau, dit-il. Il avait détesté ses funérailles, cette oraison élégiaque qui avait complètement aseptisé le caractère haut-en-couleur de la défunte. Sa mère n’était ni une sainte, ni une martyr ; elle était gourmande, elle avait un rire fêlé, et surtout, elle l’aimait, tellement fort qu’il en avait mal au cœur. 

Dans la dimension parallèle d’une autre œuvre, nous sommes en Belgique. Un homme appelle sa mère, tandis qu’un morceau classique et angoissant déroule sa litanie dans l’arrière-fond. Elle s’éloigne comme si elle avait oublié qu’il était là, sa silhouette frêle, drapée dans une robe noire, s’engouffre dans la foule urbaine. Elle s’éloigne. Et elle ne sera plus jamais la même. 

La démence d’une mère vécue par son enfant, telle est l’intrigue qui sous-tend Une Vie Démente. On pourrait croire avoir affaire à un récit pesant et déconstruit, d’une tristesse infinie, à l’instar de The Father de Florian Zeller sorti plus tôt cette année. Mais ce film Belge réalisé par les deux compères Raphaël Balboni et Ann Sirot (remarqués pour leurs deux courts-métrages Lucha Libre et Avec Thelma, honoré du Magritte du meilleur court-métrage en 2018), a tout de la tragicomédie fantasque et émouvante. 

Noémie (Lucie Debay) et Alex (Jean le Peltier) tissent le doux rêve d’avoir un enfant quand la mère de ce dernier (Jo Deseure) tombe malade. Lui qui est déjà anxieux et zélé de nature bascule dans l’obsession ; il ne parvient pas à lâcher du lest à sa génitrice tant que sa maladie n’est pas « stabilisée ». Mais comme lui rappelle Noémie, ce moment tant attendu n’arrivera pas. Les étourderies et incohérences de Suzanne, cette ancienne galeriste tonitruante et joviale deviendront la nouvelle normalité de leur quotidien, et il n’a plus qu’à accepter cette « vie démente » pour avancer. La maladie ne signe pas la fin, mais le début d’une autre histoire, rappellent Balboni et Sirot. Pour le prouver, ils parent leur œuvre d’une palette de couleurs éclatante et d’un humour bienveillant et omniprésent, qui ne fait pas de Suzanne une cible mais une partie prenante de la blague. 

Baroque et organique, Une Vie Démente offre à voir les épreuves d’une famille crédible et sincère (grâce aux performances tout en simplicité de ses acteurs et actrices) et unit les différents cycles de la vie. On y passe du rire aux larmes au gré de son esthétique arc-en-ciel et de sa bande-son structurée par L’Eté de Vivaldi, manié dans toute sa puissance comme dans Portrait de la Jeune fille en feu. Balboni et Sirot sont intimement convaincus que le soin de l’autre ne passe pas par le sacrifice de soi, et comme Alex, nous finirons par accepter ce précepte tout en douceur et en beauté.


Réalisé par Ann Sirot et Raphaël Balboni

Avec Jo Deseure, Jean Le Peltier, Lucie Debay...

Alex et Noémie voudraient avoir un enfant. Leurs plans sont chamboulés quand Suzanne, la mère d’Alex, adopte un comportement de plus en plus farfelu. Entre l’enfant désiré et l’enfant que Suzanne redevient, tout s’emmêle. 

C’est l’histoire d’un rodéo, la traversée agitée d’un couple qui découvre la parentalité à l’envers ! 

En salle le10 novembre 2021