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VARIETY - Bette Gordon - Lumière 2021

Cet obscur objet de désir 

On est en 1983 : le SIDA n’a pas encore fait les ravages qu’on lui connaît aujourd’hui, internet n’existe pas et il faut s’aventurer dans l’obscurité d’un cinéma porno pour trouver des images excitantes. Au même moment, Brian De Palma sort son Body Double qui mettait en scène un dangereux jeu voyeuriste : confiné dans une tour, un homme épie sa jolie voisine qui semble involontairement s’offrir à lui. L’obsession est telle qu’il la poursuit, toujours au loin, prenant un étrange plaisir à l'observer. À y regarder, le film de Bette Gordon semble répondre en miroir au film de De Palma : au male gaze voyeuriste, Variety met en scène ce qu’on nommerait aujourd’hui un female gaze. Héroïne blonde au visage innocent, Christine devient sujet actif, cachée à l’abri du guichet d’un cinéma porno, et non plus objet de désir. 

Rien d’étonnant alors à ce que Bette Gordon situe son récit au coeur d’un New-York underground. Variety offre une plongée nocturne dans les rues, illuminées à peine par quelques marquises et devantures tape à l'œil. Malgré son univers provocateur, le film ne verse jamais dans le glauque. Au contraire, il ne franchit jamais totalement le seuil de la salle porno, et dissémine un parfum d’interdit, conservant intact le mystère qui se cache derrière les rideaux de velours. L’univers y est hyper-stimulant, presque excitant, et laisse une totale liberté d’imagination à ses spectateur‧ices, qui s’emparent des bribes d’images et de gémissements pour reconstruire un désir. 

Car si Variety emprunte au film noir, l’énigme à résoudre, c’est bien celle du désir, et plus particulièrement, d’un désir féminin. En s’adonnant à ce jeu voyeuriste, toujours planquée derrière une vitre ou dans l’obscurité d’un lampadaire, Christine stimule sa propre imagination. Si d’ordinaire le féminin est perçu comme seul objet de désir, Bette Gordon renverse les codes, et offre à Christine les pleins pouvoirs de son regard. Alors même qu’elle est objectifiée par le regard des hommes - image qu’elle ingurgite régulièrement à travers les photos et films pornos -, elle devient à son tour voyeur et soumet le masculin à son désir. 

C’est précisément en considérant le féminin comme sujet actif que Christine va découvrir son propre plaisir. Face à Mark, son petit ami, Christine lui décrit dans un long monologue explicite l’acte sexuel d’un des films qu’elle a aperçu, et se focalise particulièrement sur la jouissance féminine. La réaction de Mark est significative : en affirmant un (son) plaisir féminin, Christine reprend le contrôle de sa propre narration, ce qui trouble et déplaît fortement à son petit-ami, qui n’opère plus aucun contrôle sur elle. Cette sexualité assumée se révèle de plus en plus dans son apparence et son comportement. Christine s’empare de l’hyper-sexualité du porno pour en faire sienne. En lingerie, devant un miroir, Christine se contemple. On est là dans la pure expression d’un female gaze, ici littéral, puisque Christine finit par se séduire elle-même. Le pur plaisir sexuel naît d’abord d’elle-même avant d’un autre. Si le film s’éternise dans son errance new-yorkaise, Variety est une curiosité d’une rare modernité, qui rappelle dix ans après les théories de Laura Mulvey, que les questions de regards ont toujours habité le cinéma.  


Retrouvez notre couverture de la 13ème édition du Festival Lumière

variety

Réalisé par Bette Gordon

Avec Sandy McLeod, Will Patton, Richard Davidson

Ayant désespérément besoin d’argent pour payer son loyer, Christine travaille comme caissière dans un cinéma porno à New York. Elle devient peu à peu fascinée par les films projetés et ses clients. Au point qu’un jour, de plus en plus obsédée, elle se met à suivre un homme.

En salle le 24 novembre 2021