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CULTE - Matthieu Rumani et Nicolas Slomka

Rien ne vous échappera… 

Revenant sur la production de Loft Story menée par une bande de jeunes loups persuadés – à juste titre – de révolutionner le divertissement, la série Culte convainc par son double portrait féminin. Isabelle de Rochechouart, la productrice. Loana, la candidate. Deux personnages miroirs enfermés dans l'œil du cyclone médiatique et misogyne, mais dont la différence de traitement fictionnel interroge. 

Dans le confessionnal aux murs violets, la caméra est pour la première fois éteinte. La productrice de Loft Story Isabelle de Rochechouart, trentenaire aux dents longues inspirée d’Alexia Laroche-Joubert (également productrice de la série, on y reviendra), brise les règles du jeu pour s’adresser à la star du show : Loana. L’heure est grave, la jeune Niçoise fait la une de la presse people. Et, non, l’odeur de ce scandale n’a rien à voir avec celle du chlore de la piscine – ne comptez pas sur nous pour vous en révéler la teneur si vous l’ignorez, on vous laisse découvrir la série ! Ce face à face sera la seule rencontre entre les deux héroïnes de Culte, enfermées entre quatre murs, dans un moment clé où la réalité dépasse la télé. Jusqu’où est-on prêt à aller pour se retrouver dans la lumière ? La série pose cette éternelle question à travers ces deux personnages féminins que tout oppose, et qui, pourtant, vont faire contre toute attente la réussite de Loft Story. Se focaliser en partie sur la candidate et la productrice, le pantin et sa marionnettiste, est une des meilleures idées de Culte. Car dans un milieu télévisuel misogyne, montrer comment deux femmes ont pu atteindre le sommet de la chaîne alimentaire du divertissement, chacune à leur manière et de chaque côté de la caméra, a quelque chose de fascinant. Sommet, car la série s’arrête sur la victoire de Loana, sa descente aux enfers n’étant pas ici le sujet, même si ses fragilités, notamment sa boulimie et les violences paternelles, sont abordées.  

Pour retranscrire les premiers pas de la téléréalité, Matthieu Rumani et Nicolas Slomka prennent ainsi le parti de s’ancrer du côté de la production. Rien de bien inédit, on se souvient par exemple de l’excellente série UnReal (2015 -1018) sur les secrets du Bachelor, et de la tendance des studios à vouloir raconter l’origine story des grandes marques capitalistes (The Social Network en tête, référence assumée par les auteurs de Culte). De la découverte des premières images de Big Brother à la grande finale de Loft Story, toutes les étapes de fabrication s’enchaînent : la guerre TF1-M6 pour la signature du programme, la confection de la maison aux 26 caméras, le casting XXL, les polémiques, les réussites et les backstages du tournage avec un staff au bord de la crise de nerfs. C’est dans ce dernier aspect que la série se montre d’ailleurs la plus originale, avec une réalisation (signée Louis Farge, déjà derrière la mini-série policière Follow) jouant l’analogie entre l’enfermement subi des équipes et celui, volontaire, des lofteurs. Dans Culte, c’est eux que la caméra scrute dans un élan de voyeurisme, jamais les candidats qui ne sont vus dans le loft que par écrans interposés – le spectateur n’y rentrera que dans la scène déjà évoquée en préambule. La frontière se brouille jusque dans la mise en scène, où l’on observe des disputes professionnelles via des caméras de surveillance ou bien l’on s’amuse à rembobiner une séquence pour ajouter une pièce du puzzle. De petits artifices, certes démonstratifs, mais qui ont totalement du sens dans cette foire aux vanités où chacun se met en scène. 

Anaïde Rozam et Marie Collomb dans Culte / © Fanta Kaba

D’une Cendrillon à l’autre

Isabelle de Rochechouart devient ainsi la porte d’entrée vers le loft. C’est elle qu’on suit le plus, la série donnant l’image qu’elle est le cerveau de cette adaptation made in France de Big Brother.  Un personnage absorbé par sa quête de pouvoir, ambitieux et intransigeant avec ses équipes, mais dont l’écriture évite les écueils de la girlboss toxique, la série ne cachant par pour autant qu’elle l’est en partie. Ce caractère est décrit comme une nécessité vitale pour elle, son objectif étant de monter dans un milieu où le sexisme et l’âgisme font que les hommes qui comptent la regardent avec suspicion. Son surnom… Cendrillon ! Alors, doit-on la suivre ou la détester ? La série joue plutôt bien de cette ambiguïté, notamment dans sa relation avec Karim (formidable Sami Outalbali, révélé dans Une histoire d’amour et de désir), jeune journaliste embourbé dans l’aventure qui, entre addiction aux médicaments et obsession pour Loana, s’effondre progressivement. Un personnage de productrice sur le papier aussi pugnace que glacial auquel la comédienne Anaïde Rozam donne une forte intensité et une certaine malice. Mais attention, on y revient, il faut garder en tête que la série est produite par la véritable protagoniste de cette histoire, Alexia Laroche-Joubert, désormais à la tête de Banijay, empire de la téléréalité derrière lequel se cache, entre autres, Les Marseillais ou Koh-Lanta. Petit vertige. Même si elle assure ne pas être intervenue dans le processus créatif, impossible de ne pas imaginer qu’elle ait eu un droit de regard sur ce personnage. De nombreux éléments de sa vie privée, relations amoureuse et familiale en tête, diffèrent pour accentuer la dramaturgie – la réussite n’est pas sans sacrifice, vous le savez. On s’interroge aussi sur le changement de son nom, comme celui de tous les hommes de l'ombre. Exit Nicolas de Tavernost, Patrick Le Lay, Stéphane Courbit – les rois de la télé se cachent tous sous d'autres patronymes. La série joue avec la réalité, mais seulement quand il s’agit de filmer les coulisses. Car pour ceux qui sont à l’antenne, présents dans le poste de millions de français, le traitement est autre. 

Du côté du loft, le mimétisme est bluffant. Les scènes cultes sont reproduites à l’angle de caméra près. Les looks improbables sont de retour. Et rien ne nous échappe de la vie de la bimbo. L’arc autour de Loana Petrucianni emprunte beaucoup plus au réel que ceux des autres protagonistes, il est bien précisé d’ailleurs dans le générique que la série s’est faite avec son aval. Et c’est peut-être pour ça qu’il arrive autant à nous toucher. On redécouvre la sensibilité derrière la blondeur peroxydée de la starlette, la gamine déjà trop marquée par la vie qui a fait de son corps son outil de travail, de séduction et de survie. Pour elle, le loft ressemble au château des contes de fées, un monde merveilleux capable de la sortir enfin de la galère. Cendrillon, finalement, c’est elle. Un personnage paradoxal à mi-chemin entre l’enfant et l’icône trash. Dans une série qui se focalise sur la production, le traitement médiatique hystérique autour de la jeune femme et les retours de bâtons de l’hypersexualisation qu’elle incarne se devaient inévitablement d’être abordés, et les auteurs le font heureusement avec respect et justesse. Un rôle complexe tenue parfaitement par Marie Colomb (aperçue au cinéma dans As Bestas et La Voie royale), qui échappe à toute caricature pour s’approcher de la vérité de la première icône (malgré elle) de la télé-réalité. La comédienne surplombe un casting de jeunes interprètes rafraîchissants, des visages peu connus qui s’inscrivent comme la plus grande force de Culte (en plus des trois acteurs déjà cités, notons aussi la prestation de César Domboy en golden boy de la télévision). Donner le jeu libre à ce quatuor prometteur de la fiction française pour incarner la jeunesse de l’an 2000 entre quête d’amour, de gloire, de reconnaissance… et les désillusions qui s’ensuivent, un pari réussi ! 

ALICIA ARPAÏA