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Cannes 2024 : DESERT OF NAMIBIA - Yôko Yamanaka

Copyright © Quinzaine des cinéastes

Ennui à la Gen Z

Le deuxième long-métrage de Yôko Yamanaka dessine un portrait distancié et stoïque d'une jeune femme troublée dont les émotions et désirs sont difficiles à déchiffrer. 

Les troubles mentaux comme sujet sont toujours à prendre avec des pincettes au cinéma. Peu de cinéastes parviennent à rendre justice aux sentiments et aux vécus de leurs personnages sans réduire toute leur existence au problème en question, faisant ainsi de ce dernier le véritable protagoniste du film. Desert of Namibia, qui a fait sa première cette année à la Quinzaine des cinéastes, fait preuve d'un regard attentionné et un brin flegmatique envers son personnage principal, Kana, une jeune femme de 21 ans qui mène une vie monotone, ignorante de ce qu'elle attend de ses proches, de son avenir et d'elle-même. Nous la retrouvons dans un café, où elle partage un café glacé avec son amie Ichika, qui lui annonce que l'une de leurs amies vient de se suicider. Le suicide, dans leur bouche, est une réalité de la vie comme une autre. On en parle comme si on discutait d'une série télévisée. On questionne la méthode : le câble, cela marche-t-il vraiment ? Alors qu'Ichika décrit de manière triviale sa dernière rencontre avec la fille décédée, l'esprit de Kana s'égare, elle se met à écouter les conversations tout aussi banales et triviales des gens autour. C'est ce sentiment de dissociation qui définit le psyché de Kana : elle n'est jamais dans le moment présent ; ses yeux impénétrables tendent toujours vers un ailleurs inconnu dont la cinéaste ne nous offre jamais les clés pour le découvrir. 

Kana, bien qu'elle soit en couple avec Honda, reste indifférente à ses attentions et passe régulièrement des nuits blanches dans des bars. Honda, quant à lui, la traite plus comme une enfant que comme une petite amie, lui préparant des repas, lui rappelant de boire de l'eau, ou la mettant au lit après des soirées arrosées. Kana le quitte pour Hayashi, et ils emménagent ensemble dans un nouvel appartement. Pour Kana, tous ces moment drastiques – la rupture, le déménagement, la démission – sont vécus comme si elle changeait simplement de sweat-shirt. Elle ne regarde jamais en arrière, probablement parce que, pour elle, il n'y avait jamais rien à regarder, à se souvenir, rien qui lui manque. Hayashi, lui aussi, s'avère incapable de satisfaire les attentes de Kana, même si elle-même n'en est pas sûre. Contrairement à la passivité presque infantile de Honda, Hayashi est agressif et impulsif, n'hésitant pas à montrer les dents, ce qui les fait sombrer dans une relation toxique et dysfonctionnelle.

Jeune cinéaste de 27 ans, Yamanaka a certainement une vision sombre à l'égard de sa propre génération. Alors qu'elle cite parmi ses influences cinématographiques des films comme Red Rocket de Sean Baker ou Les Olympiades de Jacques Audiard, Desert of Namibia est dépourvu de l'espoir et de la légèreté que ces derniers véhiculent, ressemblant davantage à Retour à Séoul de Davy Chou avec son héroïne imprévisible et quelque peu égocentrique. Cependant, tandis que Freddie de Retour à Séoul nous captivait par son magnétisme, son charisme et sa soif interminable de vivre, l'existence de Kana s'érige sur un sentiment d'ennui total où l'errance existentielle perd tout son attrait narratif. En effet, il est extrêmement difficile de ressentir de l'empathie pour Kana ou d'éprouver de la curiosité pour continuer à suivre son parcours pendant plus de deux heures. On finit par se noyer dans la frustration, qu'elle soit intentionnelle ou non de la part de la cinéaste.

Kana semble être la quintessence du zeitgeist de la génération Z, manifestant tous ses symptômes sociaux et psychologiques, mais pour cette raison même, elle manque d'individualité. Face à cette défaillance émotionnelle, ce sont dans les scènes où il est question des expériences partagées des jeunes adultes que le film excelle : un groupe de jeunes assis autour d'une table dans un bar, prononçant des phrases lacunaires tandis que les yeux de chacun restent fixés sur leurs portables ; le sentiment de vide qui nous envahit au lendemain d'une fête, nous faisant nous sentir en retard et perdus alors que tout le monde avance dans la journée ; la dissociation parmi des gens d’un milieu qui nous est étranger. Desert of Namibia frappe assurément fort dans ce genre de moments où, tel un mirage, on entrevoit brièvement notre propre visage derrière celui de Kana, tout aussi seul·e et perdu·e dans notre vie.

ÖYKÜ SOFUOGLU