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ELLE & LUI & LE RESTE DU MONDE - Emmanuelle Belohradsky

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L’amour à la française

En dépit de ses fragilités d’écriture et de mise en scène, ne s’échappant jamais des clous très balisés de la comédie romantique malgré la promesse d’un pitch à la After Hours, Elle & lui & le reste du monde charme grâce à ses deux interprètes : Galatea Bellugi et Victor Belmondo. 

La comédie romantique a-t-elle encore de l’avenir ? Le genre, si populaire dans les années 1990-2000, semble ces dernières années porté disparu. Pourtant, quelques exceptions tentent de renouveler les jeux de l’amour et de l’humour sur grand écran – citons le récent Tout sauf toi, et surtout la dynamite de Monia Chokri Simple comme Sylvain de l’autre côté de l’Atlantique. En France, où le genre, avouons-le, n’a jamais crevé l’écran, les lignes bougent aussi. De jeunes cinéastes indépendants tendent à se réapproprier ce genre longtemps mal-aimé, on pense notamment à un récent appel à projets du CNC pour ce type de films qui aura aidé au financement des pépites Le Syndrome des amours passées et Les Reines du drame (en salles le 18/12). Bon, disons-le tout de suite, s’il s’inscrit dans ce mouvement, Elle & lui & le reste du monde d’Emmanuelle Belohradsky (ancienne journaliste qui signe là son premier long-métrage) ne renouvelle pas vraiment les codes de la rom com. On y suit les pérégrinations d’un jeune homme un peu gauche, Marco, lors d’une nuit en plein Paris. Travaillant au service d’appels d’une société de réparation d'ascenseur, il tombe sous le charme de la voix d’une jeune femme en détresse qu’il décide d’aller secourir lui-même pour pallier le manque de techniciens. Si proches et si loin à la fois, se croiseront-ils avant le lever du jour ? Suspense… 

Si l’influence d’After Hours de Martin Scorsese et sa course dans la nuit pour retrouver une femme fantomatique est totalement assumée, le film manque globalement d’inspiration, aussi bien dans l’écriture (un des points de départ des malheurs de Marco est… un coup de pied dans un vélib ?) que dans la mise en scène, assez sage dans un décor nocturne parisien pourtant plein de promesses. Dommage, car les vingt premières minutes intriguent par la forme de huis clos dans un centre d’appels miniature où seul le personnage de Marco (Victor Belmondo) évolue, face à des interlocuteurs dont on n’entend que la voix. Mais ce drôle de dispositif – déjà vu dans des thrillers comme The Guilty(Gustav Möller, 2018) mais pas tant sous forme de comédie – ne dure hélas qu’un temps avant que le film ne retrouve un classicisme narratif, où alternent les points de vue du héros masculin et de son love interest (Galatea Bellugi), dont le mystère se dissipe bien vite. Il n’en reste pas moins que le film conserve un certain charme grâce à ses deux interprètes, jeunes talents du cinéma français qu’on a déjà vu briller auparavant (Gloria !, Chien de la casse, La Fille d’Albino Rodrigue pour elle ; Envole-moi, Arrête avec tes mensonges et la série Bardot pour lui), qui apportent clairement à ce projet sa fraîcheur, à travers deux personnages un peu lunaires et d’une jolie naïveté qui va les rapprocher. Au milieu de cette mignonnerie, on notera quand même que la réalisatrice a souhaité accrocher un wagon de gravité. Alors que les personnages se retrouvent longuement dans un commissariat, celui de Galatea Bellugi est là pour porter plainte pour des violences conjugales. Comme dans le meilleur des mondes, elle est prise en charge et écoutée par une policière lors du dépôt de plainte, à l’inverse d’un Marco malmené par un trio masculin qui refuse de tendre l’oreille. Si l’idée s'exécute à l’écran un peu maladroitement, il reste intéressant de mettre en scène dans une comédie romantique ce genre de séquence sur la parole des victimes.

ALICIA ARPAÏA