Sorociné

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EMILIA PÉREZ - Jacques Audiard

Copyright PAGE 114 – WHY NOT PRODUCTIONS – PATHÉ FILMS - FRANCE 2 CINÉMA - SAINT LAURENT PRODUCTIONS - Shanna Besson

Oser, la beauté du geste

Dans son nouveau film, Jacques Audiard chamboule tout : des identités genrées au principe même de genre cinématographique. Le réalisateur va jusqu’à briser volontairement l’illusion du cinéma à travers l’exubérance, dispersant ici et là quelques touches d’ironie, mais aussi des sentiments sincères, pour nous dire que rien n’est trop sérieux dans la vie, sinon tout.

Qu’il est bon, ce sentiment de surprise et d’émerveillement au sortir d’une salle de cinéma. Et pourtant, il se fait parfois rare. Alors, si l’on doit saluer une chose du film Emilia Pérez, et de son réalisateur Jacques Audiard, c’est bien son audace. Dès les premières minutes, la couleur du film est annoncée. Et laquelle ? Rita, une jeune avocate exploitée, est sollicitée par Manitas – un chef de cartel mexicain, interprété par l’actrice Karla Sofía Gascón – pour l’aider à transitionner secrètement. Ce choix n’est pas sans sacrifier sa vie de famille avec sa femme Jessi, jouée par l’époustouflante Selena Gomez, et leurs deux enfants. Ainsi naquit Emilia Pérez. Un triangle féminin donc, récompensé par le prix d’interprétation à Cannes. 

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Avec un scénario digne d’une telenovela, on aurait pu s’attendre à un arc narratif certes exubérant mais ô combien prévisible. C’est mal connaître Jacques Audiard : le film va de surprise en surprise. On va au cinéma, alors on s’attend à voir un film, mais en réalité, on passe par l’opéra, le théâtre, par le documentaire parfois, la comédie musicale, mais aussi par le tragique, l’ironique, le dramatique. En somme, Emilia Pérez est un « film transgenre qui suit sa propre logique », selon les mots du réalisateur. Pourtant, on avait des raisons de s’inquiéter : un homme, blanc, cisgenre, hétéro qui se saisit du sujet de la transidentité sur fond de comédie musicale, et un film entièrement parlé en espagnol. Finalement, c’est la claque. Celle qui remet les pendules à l’heure, et nous met au pied du mur, face à nos propres préjugés. 

On aurait tort de reprocher au réalisateur certains excès, imperfections ou quiproquos, et de les prendre – comme dans n’importe quel autre film – pour une faiblesse de la réalisation. Tout d’abord, parce qu’ils sont synonymes de générosité, et de prise de risques. Surtout, ils sont significatifs de cette volonté de trahir la vraisemblance du cinéma, pour se moquer. En effet, Emilia Pérez est un véritable pied de nez à tous ceux qui se prennent trop au sérieux, aux donneurs de leçons, mais aussi à ceux qui ne savent plus aimer. Alors, on aurait pu vanter les chorégraphies impressionnantes, les néons hypnotisants, ou le jeu de Selena Gomez qui, en une poignée de secondes, trouve une profondeur rare, mais c’est la capacité à s’emballer qu’on veut surtout valoriser. Ce qui compte n’est donc pas tant l’histoire, d’ailleurs il y en a mille, c’est le geste du film qui va dans l’outrance pour se libérer. 

Nous voilà emballées d’être emballées.

VICTORIA FABY