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EMMETT TILL - Chinonye Chukwu

Emmett Till, entre devoir de mémoire et académisme suranné

1955, le jeune Emmett Till, un adolescent afro-américain est sauvagement assassiné dans le Mississippi alors qu’il visitait sa famille pour les vacances. Cette énième histoire sordide de racisme ordinaire aux États-Unis fera le tour du continent et le forcera à regarder dans les yeux sa propre violence. Le choix de la diffusion de ces images tristement célèbres, on les doit à une femme, Mamie Till-Mobley, mère du défunt. En choisissant d’exposer le corps de son enfant post-mortem, dans les journaux mais surtout avec un cercueil ouvert lors des funérailles, elle donne à l’Amérique raciste un visage, celui du lynchage, de la cruauté et de l’impunité.

C’est par le courage et la résilience de cette femme que la réalisatrice américano-nigériane Chinonye Chukwu (Grand Prix du Jury 2019 à Sundance pour son film Clemency) décide d’aborder l’histoire de ce fait divers devenu historique. Après la mort d’Emmett, on suit Mamie Till des funérailles, au procès jusqu’à son nouvel engagement militant auprès de la NAACP (Association Nationale pour la Promotion des Gens de Couleur). Ce combat pour son fils se transforme en combat d’une vie. Elle devient d’ailleurs un des emblèmes de la lutte pour les droits civiques à l’image de Rosa Parks, Malcolm X, Martin Luther King ou le jeune Medgar Evers (qu’on peut apercevoir dans le film). Traiter le sujet par la voix de cette femme est d’ailleurs la force majeure du film, qui ne lâche jamais sa protagoniste, lui attribuant presque une capacité à préfigurer le pire. Très portée sur les visages, la réalisation multiplie les cadrages en gros plans sur sa protagoniste, donnant dans ses quelques beaux moments une impression de proximité voire d’intimité car le film est sinon assez lourd dans ses effets et plombant avec sa musique trop démonstrative. La révélation s’appelle Danielle Deadwyler, et incarne avec force et dignité une femme déterminée, une militante fébrile et une mère meurtrie. Sans elle, Emmett Till ne serait qu’une reconstitution trop propre, voire un peu lisse des faits, traitement symptomatique du genre « biopic » académique à l’américaine. 

L’autre grande question du film rejoint le propre questionnement intérieur de Mamie Till, faut-il ou pas montrer la violence ? Des arguments de décence et de bienséance se posent alors. Comme la figure historique qu’elle traite, Chinonye Chukwu choisit de montrer la violence mais le fait par parcimonie sans voyeurisme. Ainsi le meurtre ignoble d’Emmett est abordé rapidement comme pour souligner la banalité de ce type de crime à l’époque. La découverte du corps par sa mère à la morgue est, elle, plus explicite mais ne se départ pas d’une certaine tendresse, notamment grâce à l’interprétation sensible de Deadwyler.

Le cinéma est souvent un miroir qu’on tend, utilisant le passé pour parler du présent et même si ces dernières années les luttes anti-racistes ont été au cœur de toutes les actualités, le film peine étrangement à raccrocher les wagons évidents entre les luttes des droits civiques commencées dans les sixties et le mouvement Black Lives Matter des années 2010. Il a certes une visée éducative et informative mais il a du mal à utiliser l’outil cinéma qui lierait les époques entre elles. On saura par contre qu’en 2022, la loi Till a enfin été mise en place . Le lynchage est alors devenu un crime fédéral. Till Emmett est un film pour la mémoire ; contre l’oubli.