EN ATTENDANT LA NUIT - Céline Rouzet
La condition pavillonnaire
Pour son premier long-métrage de fiction, l’ancienne journaliste Céline Rouzet reprend à son compte la figure du vampire, muée en allégorie de l’adolescence et de la marginalité. Un film qui manque parfois de personnalité mais pas de charme, porté par son excellent casting.
Longtemps, les vampires au cinéma ont été associés à des figures charismatiques et séduisantes, irrésistiblement attirantes, incarnations de la double tentation du sexe et de la mort pour les mortels. Depuis le début de l’année dans les salles obscures, pourtant, la créature a rajeuni et s’est faite plus maladroite. Dans Vampire humaniste cherche suicidaire consentant comme dans La Morsure, les canines sont désormais celles d’adolescent·es qui cherchent leur place dans le monde. Étrange coïncidence, il s’agit également à chaque fois de premiers films. En attendant la nuit, reparti du dernier Festival de Gérardmer avec le Prix du jury, vient boucler une sorte de triptyque inattendu.
Dans la première fiction de Céline Rouzet, le vampire s’appelle Philémon, 17 ans et (malheureusement) toutes ses dents. Ses parents, parfaitement au courant de sa condition depuis qu’il est né et a tété le sang de sa mère au lieu de son sein, emménagent dans une petite ville pavillonnaire entre montagne et rivière, où ils espèrent pouvoir rester discrets. La mère justement (Élodie Bouchez, parfaite) a décroché un emploi d’infirmière dans un centre de don du sang, ce qui lui permet d’exfiltrer des poches pour garnir le réfrigérateur familial. Le père (Jean-Charles Clichet) fait bonne figure au barbecue des voisins et la petite sœur, pleine d’entrain, est aussi une caution de normalité. Il n’y a donc guère que Philémon pour se comporter bizarrement, fuyant les séances de bronzette au bord de la piscine alors même que s’y trouve Camila, sa très séduisante voisine, incarnée par la toujours impeccable Céleste Brunnquell.
En attendant la nuit n’est jamais aussi réussi que lorsqu’il renverse les codes du film de vampire, préférant à l’obscurité la lumière aveuglante de l’été, qui rase les pelouses parfaitement entretenues de la vie pavillonnaire. Car c’est cela, véritablement, qui intéresse Céline Rouzet : ces bourgades qui se ressemblent toutes, baignée d’un ennui qu’on ne trompe qu’en épiant ses voisins et en cherchant qui pourrait bien ne pas totalement se fondre dans la masse. La condition de vampire est alors doublement difficile à supporter pour Philémon, contraint d’une part de voir les autres ados s’épanouir sans lui, d’autre part de jouer le jeu de cette uniformisation forcée. Pour sa première apparition à l’écran, le jeune Mathias Legoût Hammond, tout en sauvagerie gauche et mal-être rentré, est étonnant.
L’autre renversement est celui de la solitude, d’habitude inhérente à la figure du monstre. Ici, la famille fait bloc, envers et contre tout. Et si En attendant la nuit a la fragilité de nombreux premiers films (une tendance à régurgiter ses références plus qu’à imprimer sa patte et un art de l’ellipse surtout dicté par un manque de budget ou d’imageries fortes), le long-métrage vaut aussi pour cette représentation de la sphère familiale, pleine de reconnaissance et d’amour.
MARGAUX BARALON