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EN BONNE COMPAGNIE - Silvia Munt

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Mon corps, mon droit

Dans En bonne compagnie, la réalisatrice Silvia Munt met en lumière un fait divers oublié, celui du procès contre les onze de Basauri, et y entremêle un récit de fiction.

Le procès des onze de Basauri (ou de Bilbao) commence en 1976. Onze femmes basques de la classe ouvrière sont emprisonnées, car accusées de pratiquer des avortements clandestins. Elles seront jugées au cours d’un long procès qui s’est tenu de 1976 à 1982. Il faudra attendre 1985 pour que l’avortement soit dépénalisé en Espagne, sous conditions (uniquement en cas de viol, de malformation du fœtus ou de risque pour la santé de la femme), soit dix ans après l’instauration de la loi Veil, en France. En 2010, le droit à l’avortement est enfin légalisé en Espagne.

Silvia Munt part de cette histoire vraie pour situer l’action de son film – à l’été 1977 – et les combats militants de ses protagonistes féminines. On y suit Bea (Alícia Falcó), une adolescente en pleine émancipation, qui vient de rejoindre l’association féministe de sa petite ville. C’est l’été de tous les changements et tous les engagements pour la jeune femme. Elle tente de gérer la séparation de ses parents. Pas simple, quand son père est incarcéré pour ses convictions politiques et qu’elle n’arrive pas à comprendre sa mère, Feli (Itziar Ituño), femme de ménage, peu loquace. C’est dans ce contexte qu’elle fait la connaissance d’une autre adolescente, ; Miren (Elena Tarrats). Bea et sa mère travaillent pour la famille bourgeoise de celle-ci. De ces rencontres naîtront des relations complexes et des réflexions intergénérationnelles autour du droit à l’avortement et celui des femmes à disposer librement de leur corps.

S’il met en résonance trois femmes, de par son titre, En bonne compagnie est surtout le film de Bea. Il est traversé par ses espoirs, ses combats, ses déceptions, ses réflexions et la découverte de sa sexualité lesbienne. On a du mal à réellement appréhender les personnages de Feli et de Miren, l’un parce qu’il y a un fossé générationnel et l’autre de par sa classe sociale privilégiée, mais surtout parce qu’ils ne sont filmés qu’en contrepoint de Bea. Ils sont donc moins fouillés et parfois seulement pourvoyeurs d’altérité. Le film se met au diapason de Bea qui affine progressivement leurs portraits.

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« Nous accouchons, nous choisissons ! »

Il commence tambour battant avec une action militante en pleine rue, où le collectif de jeunes femmes asperge de peinture un commerçant de quartier, connu pour ses agressions sexuelles à répétition sur les femmes de la ville. Il ralentit son rythme, pour, certes, mieux sonder ses trois protagonistes féminines et leurs problématiques personnelles, mais perd par la même occasion de son potentiel narratif. Il manque de structure, faisant parfois un effet de surplace tant il peut étirer certaines situations. Il bénéficie cependant de quelques belles scènes de sororité et de militantisme, dont une des scènes pivot où l’association féministe déambule en bus dans la ville, pancartes aux fenêtres et slogans aux lèvres. Munt fait la reconquête des espaces publics par les femmes et leur donne une parole longtemps invisibilisée.

Elle filme tout à la caméra épaule, captant au plus près ses personnages. Son film est empli de pudeur, et la fragilité de sa caméra épaule offre au récit une certaine vitalité formelle, là où il peut par moments manquer de caractère narrativement. Munt retranscrit avec justesse l’Espagne post-régime franquiste et l’émergence d’une génération se défaisant progressivement d’un joug totalitaire, aux institutions catholiques rigides et conservatrices. 

LISA DURAND