Sorociné

View Original

ETERNAL DAUGHTER - Joanna Hogg

Copyright Condor Distribution

Entre fantômes et amour filial

Après son sublime diptyque The Souvenir : Part I & II sorti l’an dernier. Joanna nous propose avec Eternal Daughter un conte gothique presque comme une suite logique à son œuvre précédente. Julie, une réalisatrice parcourue de doutes, prend quelques jours de congés dans un hôtel isolé du Pays de Galles. Elle est accompagnée par sa mère Rosalind, qui a connu l’hôtel dans sa jeunesse. Alors qu’elle espère un retour d’inspiration, d’étranges phénomènes viennent perturber ses tentatives de travail et de création.

Tilda Swinton chez les fantômes

En choisissant un hôtel isolé et une atmosphère brumeuse, Joanna Hogg offre pour la première fois, un écrin gothique à son cinéma. Elle nimbe son récit filial complexe d’une aura mystérieuse. Cette intention totale, est parachevée par l’interprétation double de la comédienne Tilda Swinton : qui incarne ici mère et fille respectivement. Cette prouesse n’est jamais tapageuse et s’incarne par petites touches subtiles,montrant l’étendu de la palette de jeu d’une actrice au sommet de son art.

Il en va de même pour la mise en scène qui même avec une stylisation appuyée n’est jamais dans l’ostentation ou l’effet de manche. Chez Hogg c’est l’étirement du sentiment et du quotidien qui priment. Elle se recentre alors sur des questions de dualités mère-fille et de légitimité créatrice. Ici les atours du gothique servent à écarter la douleur du réel.

On est pris entre deux générations de femmes, l’une plus pudique « à l’anglaise » ayant vécu la Deuxième Guerre Mondiale et l’autre issue d’une génération plus libre, ayant eu le droit de suivre ses aspirations propres et de sortir d’un modèle familiale nucléaire. Difficile pour Julie de découvrir que sa mère pragmatique n’a pas eu une existence heureuse et que malgré tout l’amour qu’elle lui porte, elle n’arrivera jamais à comprendre sa propre mère. De son côté Rosalind est moins appesantie et même si elle se figure mal le quotidien de sa fille, elle a accepté leurs différences d’opportunités et de choix. Elle balaie d’ailleurs tendrement la question de la non maternité de sa fille « Ces films, ce sont comme ses enfants ». 

C’est en prenant à bras le corps les fantômes du passé, et en embrassant le regard de se mère, que Julie se donne la permission de parler de son intériorité et de son intimité familiale, et de faire la paix avec elle-même.