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L’Étrange Festival 2023 : carte blanche à Olympe de Gê

Septième ciel, réalisé par Andreas Dreden (2008)

Clôturé dimanche 17 septembre, L’Étrange Festival avait invité Olympe de Gê pour une carte blanche. La réalisatrice et militante féministe prosexe, connue pour son travail sur la pornographie et sa sensibilisation au consentement, était présente, accompagnée de ses invité·es.

« Et la tendresse, bordel ! »

Les soirées organisées par Olympe de Gê comportaient chacune une thématique : bien filmer le sexe, la tendresse et l’amour. Lors de la soirée « Et la tendresse, bordel ! », le court-métrage The 36 Years Old Virgin était projeté avant La Chatte à deux têtes

Réalisé par Skyler Braeden Fox, The 36 Years Old Virgin, documentaire de 30 minutes, suit son réalisateur dans un projet atypique. Homme transgenre, Skyler n’a jamais eu de relations sexuelles pénétratives avec un homme cis. Il ne connaît pas « un pénis de chair » mais veut tenter l’expérience. Après avoir échangé avec ses ami.es autour du sujet de la virginité et longuement discuté avec sa compagne et son amant du soir, Skyler se lance. Mais attention : nous ne sommes pas dans une fiction pornographique et la réalité est souvent aussi douce qu’imprévue. The 36 Years Old Virgin est une autobiographie sensuelle et émouvante, à la bienveillance contagieuse. 

Long-métrage de Jacques Nolot, présenté à Un Certain Regard au Festival de Cannes 2002, La Chatte à deux têtes se déroule dans un cinéma porno. À l’entrée, un jeune projectionniste tente de séduire une caissière plus âgée mais celle-ci le pousse à expérimenter une relation homosexuelle. Au sous-sol, des hommes se rencontrent. Au milieu, quelques femmes transgenres errent, affichant ouvertement leurs désirs en dépit d’un rejet parfois violent (le film est à voir avec un avertissement), et la peur du sida dont l’épidémie est toujours ancrée dans les traumatismes. 

Chaleureusement accueilli par Olympe de Gê, Jacques Nolot a rapidement cité le décès de son fils adoptif, victime du sida. Il souhaitait, avec ce projet (à l’origine imaginé comme une pièce de théâtre), faire un « film sur le sida ». À première vue, rien de tel, dans la moiteur de cette salle de cinéma dédiée aux plaisirs charnels sans grande passion. Puis, petit à petit, des ballets se dessinent dans la solitude et les rencontres des personnes. Les gens se croisent et se décroisent dans cet espace clos qui rassemble toute une population parisienne qui vit cachée. Tout le monde est petit face au prédateur nommé sida. 

Le sexe pour s’aimer

Introduit par une vidéo de vulves diverses en très gros plan, la dernière soirée de la carte blanche Olympe de Gê était conséquente. Et pour cause : trois courts-métrages et un long-métrage étaient au programme de cette quadruple séance, ponctuée par des interventions d’invités. Mat et les Gravitantes a ouvert le bal, présenté en ces mots : « Nous allons admirer des cols de l’utérus ». Court-métrage documentaire, le film porte sur une jeune femme au sein d’un collectif féministe organisant un atelier d’autogynécologie. Les protagonistes s’insèrent elles-mêmes les spéculums et observent l’intérieur de leur corps grâce à de petits miroirs. Ce n’est jamais pornographique, plutôt médical, et c’est surtout une lettre d’amour que la réalisatrice, Pauline Pénichout, laisse ses sujets offrir à leurs corps – bien que l’ensemble soit un peu décousu. 

Les Îles de Yann Gonzalez (Les Rencontres d’après minuit, Un couteau dans le cœur), est une expérimentation sensorielle et symbolique. Ce n’est pas pour autant, et ce malgré l’ode remarquable aux branleurs esseulés, la plus grande réussite du réalisateur – qui a cependant excellé à travers d’autres œuvres. Enfin, le court-métrage documentaire Linda/Les & Annie, réalisé par Johnny Armstrong, Albert Jaccoma et Annie Sprinkle en 1989 était précédé d’un avertissement d’Annie Sprinkle. La réalisatrice souhaite effectivement que son film ne soit diffusé qu’après lecture de ces lignes : 

« Ce film a été réalisé en 1989. Il contient des termes ou des images qui relèvent de l’appropriation culturelle et/ou sont culturellement dépassés. Nous avons choisi de présenter ces films, conservés dans leur forme originelle, en tant que documentation historique sur l’époque à laquelle ils ont été réalisés. »

Annie commente sa rencontre, son amour et sa première relation sexuelle avec Les, son petit ami, homme transgenre fraîchement et fièrement détenteur d’un nouveau pénis.

Entre 1989 et 2023, les progrès quant à l’acception des personnes transgenres ont été finalement assez remarquables – et on le voit bien dans le documentaire – bien qu’insuffisants. Les mouvements féministes ont permis de voir les rapports hommes-femmes sous de nouveaux angles. Aussi, les discours tenus dans Linda/Les & Annie paraissent souvent lunaires, même lorsqu’ils sont prononcés par une personne concernée par la transidentité. Si l’on regarde le film jusqu’à la fin et que l’on digère ses idées maladroitement exposées, il apparaît pourtant relativement novateur dans sa conception du genre puisqu’il amène l’hypothèse timide d’une déconstruction totale du concept. Entre les scènes de sexe commentés sur un ton absurde et franc, les musiques provocatrices et cet écart mi-gênant, mi-intéressant, le film surprend pour faire rire (souvent jaune) et atteste des réflexions d’une époque. C’est évidemment à regarder accompagné de l’avertissement, et à considérer comme étrange témoignage sans tabou, plutôt que comme une réalité à prendre en compte – quoique, finalement, les trans-exclusionary radical feminist, aussi appelées TERFs, y apparaissent déjà ridicules. 

Le clou de la soirée était le long-métrage Septième ciel, réalisé par Andreas Dresen. Il est introduit en ces mots par Olympe de Gê : « Un film humble et cru. Le désir s’y incarne dans des corps âgés que la caméra filme sans fausse pudeur. Le réalisme des images nous dit : il n’y a rien à cacher, parce que ce qu’il se passe est beau ! Mais... une femme qui vit son désir sera toujours rappelée à son “égoïsme” ». On retient, paradoxalement et face au film, l’inévitable cruauté des rapports humains et l’épée de Damoclès qui pèse sans cesse sur notre propre vie. Inge est une senior, mariée depuis trente ans à Werner, un homme miné par les décès de ses proches. Au moment où elle s’y attend le moins, elle a un coup de foudre pour Karl, un homme de 76 ans. Son amour est réciproque, Inge sait que si elle ne profite pas de sa passion, elle ne pourra plus jamais en vivre une similaire. Septième ciel foudroie par sa complexité et la fatalité de l’existence. Oubliez Eros et Thanatos, l’amour est vie – mais la vie n’est guère aisée.

Manon FRANKEN