GERARDMER 2022 : les réalisatrices à l’honneur
Cet article est le repost d’un article originellement publié sur Sorociné en janvier 2022.
La 29ème édition du festival du film fantastique du Gérardmer s’est tenu du 26 au 30 janvier 2022 et Sorociné était sur place. Les retrouvailles entre festivaliers et Géromois.es étaient émouvantes, en partie parce que le festival avait dû se tenir comme beaucoup d’autres en ligne l’an dernier. L’ambiance était donc joyeuse dans cette commune vosgienne (environ 8000 habitants) qui tous les ans se met au rythme et aux couleurs horrifiques du festival,des vitrines des commerçants aux polaires oranges des bénévoles. Mesures sanitaires obligent, les séances se faisaient ensemble mais masquées - ce qui a d’ailleurs permis à certain.e.s de sortir leurs plus beaux masques avec bouche de créatures monstrueuses et fantastiques, à l’image du sourire inquiétant du clown Pennywise.
Female Gaze
Le festival qui met en valeur le film de genre depuis ses débuts, avait inclus dans sa compétition officielle quatre films de réalisatrices sur une sélection de dix films. Il faut noter que Gérardmer s’était, par le passé, illustré comme précurseur, en récompensant l ‘inquiétant et sanguinolent Grave de Julia Ducornau en 2017 par son Grand Prix et son Prix de la critique. Le terrain était donc prêt à accueillir de nouvelles réalisatrices et leur propositions. Parmi celles-ci, on pouvait trouver trois films de primo réalisatrices, She Will de Charlotte Colbert, Ego de Hanna Bergholm et Samhain de Kate Dolan. Ana Lily Amirpour (A Girl Walks Home Alone At Night,The Bad Batch) fermait la marche avec son troisième long-métrage. On pouvait également voir en sélection hors-compétition Censor de la galloise Prano Bailey-Bond. Il y avait, dans ces quatre œuvres, des thématiques presque en écho. La plus évidente était un récit mené par des féminins complexes et souvent monstrueux mais il y avait aussi et surtout des réflexions sur les conceptions des maternités, des sororités et des traumas, enfouis mais partagés et exorcisés au grand jour et sur le grand écran, dans la boue, dans le sang ou par le feu.
Gérardmer a couronné ces réalisatrices hier, dans sa grande salle de l’espace Lac. Le Grand Prix et le Prix du Jury Jeunes est allé à Ego de la Finlandaise Hanna Bergholm et le Prix du Jury (présidé par la comédienne et productrice Julie Gayet), ex-aequo avec La Abuela de Paco Plaza, pour le film Samhain de l’Irlandaise Kate Dolan. Mona Lisa & The Blood Moon de Ana Lily Amirpour a reçu, de son côté, le prix de la Meilleure musique. The Innocents du Norvégien Eskil Vogt (que nous n’avons pas pu voir) a remporté le Prix de la critique et du Public. On accorde de notre côté une mention spéciale à Ogre de Arnaud Malherbe,conte fantastique français délicat et bien mené. Cerise sur le gâteau : pour cette édition le festival avait pour invité d’honneur le réalisateur Britannique Edgar Wright dont le dernier film Last Night in Soho semble s’accorder parfaitement avec les thématiques des réalisatrices récompensées. L’œuvre aborde effectivement le Swinging London des sixties sous un regard neuf et à travers un Londres d’hier et d’aujourd’hui peuplé de personnages féminins déterminés et vengeurs.
Les planètes se sont bien alignées sous le ciel vosgien pour cette édition et nous avons eu la chance de pouvoir nous entretenir séparément avec Kate Dolan et Hanna Bergholm, avant leur consécration d’hier soir. Nous leur avons posé les questions et nous avons décidé de croiser leur propos. L’une venait avec un conte irlandais sur fond de dépression et de solitude féminine lors d’Halloween et l’autre avec un bonbon finlandais doux-amer à croquer à ses risques et périls. Entretien.
Quelle était le genèse du projet ?
Kate Dolan : En tant qu’Irlandaise, je toujours été entourée de folklore et de légendes et ça été la base pour Samhain. Je peux puiser dans beaucoup de légendes horrifiques , comme le mythe du Changeling (NDLR : le changeling est dans les légendes irlandaises, un leurre mit en place par des fées pour remplacer un nouveau né qu’elles viennent d’enlever par malice) que j’utilise dans le film. Ce mythe a eu un impact important pour le peuple Irlandais surtout dans les années 1800, où les gens y croyaient vraiment et pouvaient aller jusqu’à brûler leur proche, surtout les enfants. Les mythes concernant les fées sont très présents en Irlande et les femmes guérisseuses étaient appelées des « fairies doctors » et ont étaient accusées de sorcellerie et persécutées dans tout le pays à l’arrivée du christianisme. Je voulais aussi parler des questions de santé mentale dans un cadre familial et comment on le gère adolescente. Comment on s’y confronte pour mieux avancer. Les deux sujets se sont bien mélangés, mais je les avaient réfléchis l’un avec l’autre.
Hanna Bergholm : L’idée est venue de mon scénariste Ilja Rautsi, et tenait en une phrase « un garçon couve un œuf d’où éclot un doppelgänger ». J’ai décidé de le faire avec lui, mais avec un personnage de jeune fille, car l’acte de couver me permettait de parler des maternités et du fait de grandir. L’idée de la créature était présente au tout début.
Pourquoi avoir choisi le film de genre pour explorer vos thématiques ?
K.D : Comme Char, j’ai grandi avec une mère célibataire chez ma grand-mère pendant longtemps dans la banlieue de Dublin, et j’ai remarqué que c’était un schéma familial plutôt classique dans ces quartiers là. Je l’ai vécu et j’adorais ma dynamique familiale. Ma grand-mère est veuve et a elle-même grandi dans des quartiers vraiment pauvres et elle m’a toujours dit qu’elle pouvait jeter la malédiction de la veuve, qui est irréversible. Je ne sais pas vraiment en quoi ça consiste mais les Irlandais adorent jeter des malédictions (elle rit). Il y a aussi le symbole du triskell (symbole représentant trois spirales entrecroisées) très présent dans notre folklore qui représente parfois « la vierge, la mère et la couronne » comme trois générations de femmes à différentes étapes de leurs vies, comme trois déesses. Quand vous êtes adolescent, vous n’avez pas d’argent, pas d’indépendance et si votre situation familiale est compliquée, vous êtes vite coincé. Je trouvais que c’était peu explorée dans les récits d’apprentissage surtout avec des adolescentes.
H.B : L’histoire avait plus de sens avec les double standards sur les comportements féminins et ce qu’on autorisent aux femmes d’exprimer. On a l’impression qu’on ne fait jamais assez ou assez bien. Mon film n’est pas un conte de fées ni la réalité mais quelque chose d’étrange. Ce personnage de mère ne ressent pas le bonheur mais elle l’idéalise et crée sa perfection. Tout est une performance pour elle. Ce monstre dans l’œuf c’est aussi une part d’elle qu’elle a enfoui et qu’elle a peur de regarder . Ce besoin de perfection est évidement renforcé par l’utilisation intensive des réseaux sociaux. Les hommes sont absents des décisions dans mon film, c’est par choix. Le père s’échappe tout le temps mais il s’échappe surtout à lui même. Le personnage de Tero représente une masculinité plus réelle et en phase avec le monde, mais au final il s’échappe et ne prends pas de responsabilité face à Tinja et la laisse seul. Mes adultes n’agissent pas comme des adultes responsables. Les enfants nous prennent en miroir et s'inspirent forcément de nous. Ce double fantastique n’est pas le mal, il veut seulement être aimé, même s’il nous renvoi à nos pires travers.
Pensez-vous qu’il y a un female gaze ?
K.D : Je pense surtout que qui on est et nos expériences personnelles jouent évidement sur nos perceptions du monde et de nos récits en tant que réalisatrice. Le male gaze est bien réel. Pourtant, mon film favori de l’an dernier était Julie en 12 chapitres de Joachim Trier, un film réalisé par un homme et scénarisé par deux hommes avec un personnage féminin fouillé, il y a donc toujours des exceptions. Dans le cinéma d’horreur, la notion est plus floutée car c’est le genre de la final girl et des héroïnes badass qui me donnait un sentiment de puissance quand j’étais plus jeune. En vieillissant, mon point de vue a changé et c’est bon de voir arriver toutes ces réalisatrices de genre, avec leur regards et leurs personnages féminins complexes et étranges, comme avec St Maud de Rose Glass récemment. On nous a d’ailleurs beaucoup comparé car je pense que nos récits ose une forte charge émotionnelle et ose aborder la dépression féminine en profondeur.
Il était important pour moi de faire mon film en banlieue, dans l’environnement où j’ai grandi et pas dans un forêt comme souvent dans ce type de récit. J’ai été dans des écoles catholiques non-mixtes, et j’étais en classe avec ces adolescents très durs à cuir. Elle étaient mon environnement. Sur les projections tests, c’est amusant de voir que les hommes plus âgés ne comprenait pas ses personnages et ces dynamiques très fortes. C’est clair qu’ils n’ont jamais été des adolescentes ou dans des groupes d’adolescents. Le constat s’est aussi fait avec le choix de mes actrices surtout celles qui jouent la mère et la grand-mère qui m’ont avouées que sans mon film, on ne leur aurait jamais proposé de rôles complexes comme les femmes de Samhain, alors qu’on les enferment dans les rôles de mère et grand-mère dès que le héros en a besoin pour quelques scènes. C’est d’ailleurs fou de voir comment le corps de la vieille femme est devenu un ressort de peur du cinéma de genre. Moi je voulais que la grand-mère soit vivante, inquiétante et drôle comme l’est la mienne.
H.B : Je pense qu’il y a un female gaze. Je sais que j’ai manqué de beaucoup d’expériences féminines au cinéma et pourtant je regarde beaucoup de films. On a besoin de ces regards et c’est je que je veux faire avec mes films. Un ami psychiatre, que j’ai consulté, pour vérifier la véracité du personnage de la mère, m’a assuré qu’elle n’était pas une exagération de mon scénario. Il s’occupe surtout des adolescentes avec des troubles alimentaires et il a souvent rencontré cette femme très control-freak qui vit à travers sa fille, mais ne l’avait jamais vu de cette façon au cinéma. Le regard est donc très important.
Avez-vous le sentiment que depuis les révélations et les affaires MeToo, l’industrie change ou est-ce seulement un écran de fumée ?
K.D : L’industrie est plus dure quand on est une jeune femme, c’est certain. J’ai 31 ans aujourd’hui mais il y a quatre, cinq ans, je me sentais moins légitime sur les plateaux de publicités que je réalisais et les chefs de postes ; souvent des hommes plus âgés, me le faisait ressentir. Cela a beaucoup changé depuis que le film est fini qu’il a fait des festivals dont le TIFF (sélection Midnight Madness) et celui de Gérardmer. Les gens ne s’attendent pas forcément à ce que je sois drôle et que je ne me prenne pas au sérieux avec le travail que j’ai produit sur ce film.
H.B : Le changement est dans l’air. J’ai 41 ans et on m’a beaucoup fait attendre pour réaliser ce premier long-métrage. J’ai du revenir tout au long de ma carrière avec plusieurs courts-métrages pour qu’on juge que j’avais assez d’expérience. Statistiquement en Finlande, la parité femme/homme est respectée pour la réalisation mais 80 % des hommes réalisent un premier film avant 30 ans et plus tôt que les femmes. J’ai enfin l’impression de pouvoir respirer et d’être enfin moi-même en tant que réalisatrice. Je pense qu’on est encore au stade où il faut forcer les institutions à nous visibiliser. On est au commencement, mais j’espère que ce sera un point décisif pour le futur de l’industrie. Je suis d’ailleurs très fière car Ego est le plus gros budget de film alloué à une réalisatrice dans l’industrie du cinéma Finlandais.
Avez-vous des projets prévu à l’horizon ?
K.D : Oui je travaille sur deux scénarios de films en Irlande. L’un deux est quasiment fini pour l’étape de l’écriture . Je pense que l’exposition apportée par les festivals où je suis allée avec Samhain, va me permettre de faire d’autres projets plus facilement, avec plus de temps (le film a été tourné en vingt-trois jours) et plus de budget.
H.B: Je travaille déjà sur un nouveau projet de film avec mon scénariste Ilja Rautsi, sur les sujets de la maternité, le mensonge de l’instinct maternel et les trolls (elle rit). Je pense que que mes sélections à Sundance et Gérardmer cette années vont effectivement me faciliter la tâche pour les projets suivants. J’ai reçu beaucoup d’aide de la part de Wild Bunch (société de distribution et de production française) qui s’est engagé très tôt sur Ego et m’a accompagné jusqu’au bout.
Propos recueillis par Lisa Durand, janvier 2022.