FIRE OF LOVE - Sara Dosa
La vie volcanique
Plongée documentaire dans la vie et le travail du couple de volcanologues Krafft. Comment on t-ils vécu ? Comment sont-ils morts ?
Volcano Devils
Katia et Maurice Krafft furent pendant près de vingt-cinq ans le couple de volcanologues le plus célèbre de la planète. Ce sont ces deux français auxquels s’intéresse la réalisatrice américaine Sara Dosa. Elle fait le portrait de ces “Géo Trouvetou” ou ces “Volcano Devils” – comme on les a surnommé - en alliant la passion de leurs vies communes – les volcans – à leur histoire d’amour, présumément volcanique. Un pari qu’elle n’arrive d’ailleurs pas complètement à concrétiser, même en s’appuyant sur la vidéothèque conséquente, amassé par les Krafft durant la totalité de leurs années d’activités scientifiques.
Structure éteinte…
Le film est entièrement monté sur les images d’archives cinématographiques et photographiques du couple Krafft. Il est accompagné d’une voix off narrée par la réalisatrice et comédienne américaine Miranda July (Kajillionnaire,…) et de séquences animées selon une technique de papier découpé. Ce choix d’écriture documentaire fini par desservir le film. La patine rétro-ludique 70’s avec split-screen à l’appui tourne vite à l’exercice d’enrobage pop, assez naïf voire sirupeux. La réalisatrice commence à pousser la romance du couple à une romantisation un peu mièvre et tout le champ lexical de l’amour et des volcans y passe. Pourtant les images des Krafft n’ont besoin d’aucun sous-titres, d’aucunes conjectures amoureuses. Au final, la passion ardente, vraie ou pas, ne nous intéresse assez peu.
En décidant de ne pas faire confiance à la mine d’or que sont ces images spectaculaires d’un couple au travail sur les flancs des volcans les plus impressionnants – et parfois les plus dangereux - au monde, elle s’écarte de la puissance première de ces mêmes images mais aussi du pouvoir d’observation de la documentariste. Le film a tendance à tourner à vide profitant de sa propre plasticité et la sympathie des volcanologues, sans ajouter de véritable structure d’écriture solide. On est dans un storytelling à l’américaine, un poil grandiloquent. Ainsi le documentaire se clôt comme il a ouvert sa boucle, sur la mort accidentelle du couple (pris dans une nuée ardente) en 1991 sur le Mont Unzen au Japon. Les cartes sont abattues et tels les amants pétrifiés de Pompéi, la réalisatrice iconographie les Krafft, les posant comme devant l’éternel ; en héros romantiques. C’est dommage, car on comprend assez vite le potentiel plastique et pop de ces deux personnages aux bonnets rouges, sorte d’hybridation parfois comique, du commandant Cousteau et de l’équipage mélancolique du Capitaine Zissou dans La Vie Aquatique (2004) de Wes Anderson.
…Mais héritage actif
Il est tout de même fascinant d’observer dans le documentaire comment les Krafft ont appris à se mettre en scène et se sont assignés des rôles bien délimités. Ils exposent une vision traditionnelle du couple marié. Lui est le cinéaste casse-cou, très loquace, toujours prêt à sauter dans un cratère volcanique. Elle, est la photographe discrète en retrait, toujours à rattraper les « bêtises » de son mari. Même leur mediums de choix semble les sur-définir. Elle a soi-disant la patience de la pose photo et lui, l’immédiateté impatiente du film. Il est le commercial qui, sur les plateaux de télé, leur permet de récolter des financements pour leur expéditions. Elle, plus factuelle, répond aux questions techniques et invente le chromatographe de terrain (pour analyser les gaz volcaniques en séparant les différentes substances présentes dans un mélange). Ils n’en restent pas moins un couple d’ovnis pour l’époque car en choisissant de consacrer leur vies communes à l’étude des volcans, ils font le choix de vivre hors des normes sociétales classiques et décident ensemble de ne pas avoir d’enfants. Ils l’expriment d’ailleurs clairement. Il en va de même pour leur conscience totale de la dangerosité de leur profession et leur rapport serein face à la mort. Ils sont hors-normes également au sein de la communauté scientifique – des volcanologues saltimbanques comme ils disaient – dont ils ne savent pas trop quoi faire. Ils vivent partout où les volcans les mènent et ne rentrent que pour planifier l’expédition d’après. S’il y a bien une chose de vraie, c’est que leur existence bat au rythme des volcans.
C’est d’ailleurs un autre aspect de leur travail : l’éducation aux volcans. Toute leur vie, le couple Krafft s’est évertué à démocratiser sa discipline et à intéresser les téléspectateurs et lecteurs aux études volcanologiques avec la publication de nombreux ouvrages et avec leur participation à de nombreuses émissions de télévision. Ils se sont posés en passeurs de savoir avec une collection de plus de deux cent mille clichés photographiques et une centaine de films. Ils sont devenu des cinéastes avec un point de vue humaniste comme le montre un autre documentaire, Au cœur des volcans, Requiem pour Katia et Maurice Krafft de Werner Herzog (2022). Ils ont aussi vulgarisé la théorie de la tectoniques des plaques et ont fini par établir leur propre classification binaire des volcans. Katia Krafft a également démocratisé les professions scientifiques, géologiques et volcanologiques auprès des femmes.
Leur héritage est ,quant à lui, bien vivant. C’est grâce à leurs nombreux conseils et leurs travaux avec l’UNESCO, que des films éducatifs ont été tournés par le couple. Ils ont eu pour but de renseigner et de former les gouvernements et les services de secours en cas de situations d’évacuations suite à une éruption volcanique. Ce dernier acte de prévention mondiale a pu sauver de nombreuses vies, faisant d’eux des figures concrètes, humaines et inoubliables, et non pas des martyrs romantiques.