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HOLLY - Fien Troch

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HOLLY SPIRIT

À travers le portrait poignant d’une adolescente introvertie, le nouveau film de Fien Troch explore les limites du désir de contact humain, tout en se frottant aux thèmes et motifs du cinéma du genre.

Holly est l'un de ces films modestes mais un peu confus qui nous intriguent et nous plaisent, non pas par la prouesse de leur narration ou de leur style, mais par les questions qu'ils nous amènent à nous poser. Présenté à la Mostra de Venise en 2023, le cinquième long-métrage de Fien Troch offre un curieux assortiment de genres et de styles allant du teen movie au fantastique, du drame psychologique au réalisme social à la frères Dardenne — le tout étant bien dosé et équilibré. Bien que les références cinématographiques et les affinités thématiques avec d'autres œuvres foisonnent, aucune d'entre elles ne s'approche vraiment des sentiments globaux du film – un état de perplexité, de confusion morale et une envie profonde de contact humain. 

Le film se déroule autour de Holly, une adolescente de nature timide et introvertie. Perçue comme bizarre et gênante par ses pairs, elle doit quotidiennement supporter leur harcèlement cruel. Son seul ami est Bart, un garçon qui semble se situer dans le spectre de l'autisme, et qui, comme Holly, est la risée de tous. Alors qu'elle peine à naviguer entre sa famille dysfonctionnelle et son école infernale, une simple décision qu'elle prend change complètement sa vie. Un matin, au réveil, elle appelle l'école pour les informer qu'elle ne pourra pas venir, car elle pressent qu'il va se passer quelque chose de grave ce jour-là. En effet, le même jour, un incendie se déclare à l'école, causant la mort de huit étudiants. Qu'il s'agisse de coïncidence ou de prémonition, peu importe : Holly se retrouve rapidement perçue comme possédant des pouvoirs mystérieux. Ce don que les gens lui attribuent ne fait qu'accentuer sa solitude, Holly étant désormais perçue comme anormale. Mais l'une des enseignantes à l'école, Anna, sympathise avec la jeune fille et l'encourage à travailler bénévolement pour aider les familles en deuil. En se confiant à Holly, les parents se sentent apaisés, sereins, comme s'ils avaient été libérés d'un poids lourd. Lorsque ces derniers insistent pour lui offrir des cadeaux et de l'argent en échange de son « service », les bénéfices qu'elle en tire commencent à prendre le pas sur son but initial motivé par l'altruisme et la solidarité. 

Au cours du film, Troch ne s'intéresse guère à la question de l'authenticité des pouvoirs de Holly. Elle cherche plutôt à explorer la façon dont la perception de soi de la jeune fille, ainsi que ses interactions au sein de la communauté, changent en fonction des valeurs que les gens lui attribuent et des jugements qu'ils portent sur elle. Bien qu'on lui confie la responsabilité de porter le soutien aux autres, de soulager leurs douleurs et de les faire se sentir aimés, c'est Holly qui a avant tout besoin d'amour, de compassion et de connexion humaine – ce que Troch réussit à transmettre à travers des plans rapprochés, en silence, où les sentiments s'expriment par le contact physique. Holly cherche simplement sa place dans ce monde qui, jusqu'à présent, lui était hostile et cruel. En tant qu'audience, notre position est d'observer Holly dans sa quête de sens d'appartenance, pavée de désir mais aussi de regret, de culpabilité et de doute de soi. L'approche narrative de la cinéaste belge est assez remarquable en ce qu'elle n'induit jamais chez son public l'illusion de comprendre entièrement la psyché du personnage principal. L'ambiguïté et l’incertitude de la fin du récit, qui pourraient être interprétées comme un manque de maîtrise chez la cinéaste pour certains, se traduisent au contraire par un souci narratif visant à maintenir la bonne distance entre son personnage et l'audience. 

La recherche de la bonne distance s'exprime également au niveau du style. À travers ses similitudes thématiques avec des films tels que Carrie de Brian de Palma et Thelma de Joachim Trier, ainsi qu'avec un exemple plus récent, Goutte d'or de Clément Cogitore, Holly se présente comme une œuvre évocatrice par excellence. Sans recourir aux références directes ni au pastiche, le film établit un dialogue subtil avec le cinéma de genre à travers son atmosphère, les sentiments et les sensations qu'il procure. Le fantastique, dans ce sens, se transforme en outil métaphorique sur plusieurs niveaux – servant, tout aussi bien à l'intérieur du récit, à combler les absences dans la vie des personnages par les miracles, mais aussi, pour nous, à donner du sens aux images et aux sons qui nous touchent, tout comme les mains de Holly. 


Öykü Sofuoglu