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IT ENDS WITH US - Justin Baldoni

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Recette du désastre annoncé

En salles depuis le 14 août, le film de Justin Baldoni aligne polémique sur polémique. Et en même temps, pouvait-il l’éviter en adaptant un livre accusé de glamouriser les violences conjugales ?

Si vous ne traînez pas sur Booktook, vous aurez sans doute du mal à déduire le sujet de Jamais plus en examinant sa couverture. Le roman de Colleen Hoover (Hugo Roman, 2018) est tout de rose vêtu, moucheté de fleurs géantes. À vue de nez, on le prendrait pour une simple romance. Pas pour un best-seller (plus de 800 000 exemplaires vendus) qui examine le cycle de la violence à travers l’histoire d’une fleuriste violentée par son copain. Douteux, vous direz ? Attendez de voir son adaptation cinématographique. Pilotée par Justin Baldoni et Blake Lively, qui occupent les deux rôles principaux, elle multiplie les controverses.

L’enfant du best-seller présente les défauts de son géniteur, à savoir : un branding un peu trop décalé avec son sujet, qui relève plus de la stratégie marketing que du choix audacieux et subversif. « Mettez votre plus bel imprimé floral et ramenez vos copines ! » s’est ainsi exclamée Blake Lively comme s’il s’agissait d’aller voir Barbie. Un impair parmi d’autres dans une campagne de promotion où la star a mis en avant le lancement de sa marque de produits capillaires, pendant que son collègue Justin Baldoni égrenait les poncifs sur les violences dans le couple. Cerise sur le gâteau : la création de cocktails baptisés d’après les prénoms des personnages. Avec des jeux de mots. Oui, y compris pour Ryle, l’auteur de violences conjugales.

L’amour sauvera les hommes de leur violence

Et le film ? Eh bien, c’est pire. Il met en scène la relation d’une fleuriste, Lily Bloom, dont le père était auteur de violences conjugales, avec son petit ami richissime et séduisant, Ryle. Ce dernier présente toutes les qualités encensées dans la romance, et jusque-là, tout va bien : beaucoup d’hommes violents jouent sur une façade sociale lisse pour dissimuler leurs agissements et décrédibiliser la parole de leurs victimes. Mais même après avoir frappé Lily au visage, l’avoir poussée dans un escalier et tabassé son ex-prétendant (on y viendra), Ryle ne perd pas complètement son charme.

Il a un bon fond, nous dit-on. Il a le droit de venir soutenir Lily qui est tombée enceinte. Il a le droit de venir rencontrer son nouveau-né. Les seules conséquences qu’il affronte : un divorce, et une réprimande mollassonne de l’héroïne à base de « Comment réagirais-tu si ta fille était battue ? ». Sachant que beaucoup d’hommes battant leurs femmes s’en prennent aussi à leurs enfants, la situation est grinçante malgré elle.

Ryle n’est pas poursuivi en justice, ni résolu à changer en cherchant un traitement thérapeutique, du moins, on ne le verra pas. Il est presque innocenté par la bonté de sa victime, sauvé par le pouvoir de l’amour et de la gentillesse. Une représentation qui va dans le sens des détracteurs des romances, accusées de glamouriser les rapports de domination hétérosexuels à l’écran. À ce chaos, on peut rajouter un triangle amoureux traité avec une grande maladresse, comme s’il fallait à tout prix appliquer les codes de la romcom envers et contre tout. En d’autres temps et en d’autres lieux, ce choix scénaristique pourrait être intéressant : le sujet du cycle de la violence n’a pas à être constamment traité à travers un prisme dramatique, des artistes ont déjà choisi de l’exprimer avec un registre humoristique, horrifique… Mais encore faut-il réellement s’intéresser à son sujet, ce que Justin Baldoni et Blake Lively n’ont pas fait. Aux États-Unis, où se passe le film, une Américaine est tuée toutes les cinq heures par son conjoint ou ex-compagnon selon une étude relayée par Les Jours. Alors pour nos motifs fleuris préférés, on repassera.

LÉON CATTAN