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LA CHRONIQUE DES BRIDGERTON, SAISON 3 - Chris Van Dusen

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Recette du succès

L’adaptation Netflix des romans de Julia Quinn cartonne toujours autant, à travers les amours mouvementées des Bridgerton dans l’Angleterre de la Régence. Au programme de cette saison 3 : l’éclosion de Penelope Featherington, voisine discrète à la double vie. 

Les détracteur·ices lui reprochent des inexactitudes historiques, mais est-ce vraiment l’intérêt de ces chroniques romantiques ? Au contraire, la Régence est ouvertement fantasmée, pour construire un univers propice aux éloges fleur bleue. À chaque saison des mariages, un enfant Bridgerton se met en quête de son âme sœur en écumant les bals. Le lendemain, les potins de la haute société sont tous rapportés dans le quotidien en vogue : Les Chroniques de Lady Whistledown. Après une première saison (aussi gênante qu’addictive) dans laquelle Daphne épouse finalement l’élu de son cœur, puis une deuxième saison qui voit Anthony choisir un mariage d’amour plutôt que de raison, la ligne éditoriale de la série semble claire. Il s’agit de faire rêver les esprits romantiques – quitte à devenir prévisible et répétitive. 

L’adaptation prend un peu de recul sur les romans dans l’organisation de la saison 3. Au lieu de marier directement Benedict, prochain frère (jusqu’ici relativement discret) sur la liste des célibataires, elle le laisse vaquer à ses loisirs. L’intrigue s’axe autour de plusieurs personnages. Francesca, la sœur discrète, désormais en âge de se marier, veut un long fleuve tranquille plutôt qu’une passion bouillonnante. Benedict termine toutes les coupes de champagne et profite des plaisirs de la chair. Colin, fraîchement rentré de voyage, crâne avec les autres jeunes hommes de son rang. Enfin, Penelope Featherington, voisine secrètement autrice des chroniques qui bouleversent la société, et amoureuse de Colin depuis leur enfance, désespère de trouver un jour un mari. 

Iconique Penelope

Penelope (formidable Nicola Coughlan) est le personnage principal de cette saison et probablement le plus intéressant de toute la série : petite, ronde, issue d’une famille ruinée, elle n’a jamais été courtisée. Elle est encore jeune mais on lui a déjà attribué le statut de « vieille fille ». Très amie avec Eloise et Colin Bridgerton, Penelope sait qu’elle ne pourra jamais prétendre à un destin aussi flamboyant. Et pourtant, c’est la voix de Lady Whistledown qui berce la série. Penelope est un personnage féminin aux antipodes des archétypes traditionnels : elle est à la fois une girlboss qui fascine la reine, une artiste intellectuelle et un cœur brisé en quête d’acceptation. 

Dans cette saison, la jeune femme bénéficie cette fois d’un glow up, à l’image des teen movies américains. Mais plutôt que d’enlever ses lunettes et d’adopter des tenues tendance, Penelope porte du bleu à la place du jaune pour se différencier de sa famille. Elle ne se fait pas belle pour les hommes ; elle se fait belle pour briller intérieurement – et sa recherche d’un mari est une quête vers l’émancipation. C’est au passage l’opportunité d’aborder enfin la place de Lady Featherington, que Penelope tente de fuir. On attendait un peu désespérément que la mère idiote déballe son apanage de veuve sans le sou, déterminée à s’en sortir malgré un statut social qui ne faisait pas briller à son époque : c’est enfin chose faite.

Tout comme La Chronique des Bridgerton est façonnée par la voix de Lady Whistledown, l’approche romantique de Colin passe malicieusement par le regard de Pen. La jeune femme bouscule le confort d’un homme qui enfouit sa solitude dans des attitudes virilistes. Pour trouver l’amour et s’épanouir pleinement, Colin doit se défaire de la masculinité contagieuse des jeunes hommes de son âge. Le love interest ne se contente pas d’être séduisant, il doit s’améliorer pour trouver grâce auprès des spectateurs et surtout des spectatrices. La série est toujours destinée à satisfaire les fans, mais ici, l’absence de prise de risque constitue un des éléments majeurs le mieux exploité. On sait que Colin et Pénélope termineront ensemble, c’est dans l’ordre des choses. Le suspense réside en la capacité de Colin d’être, par son évolution, digne de Penelope. 

Les romans de Julia Quinn étaient déjà réputés pour une approche plutôt féministe, la série Netflix continue sur ce chemin et fait de la trame Penelope-Colin un manifeste et outil de réflexion beaucoup plus complet qu’espéré, en faveur des femmes. Ce n’est plus un simple sujet puisque cette fois l’idéologie contribue pleinement à la construction de la narration.

Des enjeux sociaux

Que ce soit volontaire ou pas, cette dernière saison de Bridgerton est empreinte d’enjeux sociaux. Outre un féminisme abordé avec plus de finesse, l’exploration de personnages secondaires, comme la très sous-estimée Lady Featherington ou encore Cressida Cowper, amène à replacer le cocon douillet des très riches Bridgerton dans une réalité moins douce. On reste dans un divertissement sucré, on est loin d’une œuvre communiste, mais cette saison, par ses péripéties, se montre davantage ouverte sur le reste du monde. 

La série spécialiste des gros plans sur des personnages retenant leur souffle face à l’élu·e de leur cœur est aussi « réputée » pour ses nombreuses scènes de sexe. La grande scène de la saison 3 reste fidèle à son esprit féministe, offrant à Penelope un cours d’éducation au plaisir. L’autre grande scène de sexe permet à deux hommes de partager le même lit. Le cahier des charges caliente se met au service des mutations qui remuent enfin notre société actuelle. Cette nouvelle consistance permet d’enrichir les intrigues parallèles et de renouveler un peu les sempiternels jeux de l’amour et du hasard. Il semblerait que cela amorce aussi la prochaine saison qui risque de se concentrer sur des personnages jusqu’ici relativement anecdotiques. 

Le dernier épisode est plutôt décevant. Après avoir noué ses intrigues avec soin, La Chronique des Bridgerton défait le tout avec trop de facilité. S’il est dommage de terminer sur cette note, la saison 3 se place clairement un cran au-dessus de ses prédécesseuses. Reste à voir si l’écriture de la saison 4 sera suffisamment réfléchie pour offrir un récit digne du regard de Penelope sur le monde, et si l’on gloussera toujours autant comme des adolescent·es devant des regards enamourés.

MANON FRANKEN