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LA GRANDE MAGIE - Noémie Lvovsky

La Grande Magie : quand Noémie Lvovsky fait rimer disparition avec émancipation

« ...On a peur de ne plus être regardé. On a toujours fait croire qu’une femme devait être regardée par un homme. Alors que la vie est là... ». Cette phrase c’est Zaïra (Noémie Lvovsky) qui la dit à Marta (Judith Chemla). Elle n’ouvre pas le film et se situe plutôt vers son dénouement mais elle est bien représentative de l’esprit de La Grande Magie et de l’œuvre vive et solaire de sa réalisatrice. Ici il est question de liberté, d’amour, de croyance, de réalité et bien évidemment de magie.

Lvovsky nous propose une fable chantée, adaptée librement (par Lvovsky elle-même, Florence Seyvos et Maud Ameline) de la pièce de théâtre La Grande Magia d’Eduardo de Filippo. Les chansons envoûtantes sont majoritairement extraites de l’album Palais d’Argile (2021) du groupe français Feu ! Chatterton et les autres sont co-écrites pour le film par (encore) Noémie Lvosky, sa co-scénariste Florence Seyvos et Arthur Teboul, le leader et chanteur du groupe. 

La Grande Magie prend pour décor une pension hôtelière en bord de mer, le temps de quelques jours d’été dans les années 20. Les convives, tous plus originaux les uns que les autres et comme tout droit sorti d’un Feydeau, sont les témoins éberlués d’une disparition d’épouse malheureuse, lors d’un tour de magie charmant mais pas tout à fait maîtrisé. Le bonimenteur habile et mystique joué par Sergi Lopez fait croire à l’époux que sa femme ne s’est pas enfuit, il l’a seulement enfermé dans une boite. C’est au mari sceptique de placer sa confiance dans sa femme (par une fois) et de ne pas l’ouvrir sous peine de la faire disparaître pour toujours. Cette disparition entraîne l’un des grands thèmes du film, soit la frontière entre l’illusion et la réalité. Lvovsky voit un monde où les deux son liés et ne peuvent vivre l’un sans l’autre sous peine de grande tristesse voire de dépression chronique. Ainsi sa galerie de personnages de saltimbanques ne s’y trompe pas et déploie des élans communicatifs de poésie, alliés à des moments graves mais enchanteurs. C’est Denis Podalydès - toujours impeccable et drôle dans les rôles de bourgeois fantasques, qui s’y perdra. Que faire quand la vie devient illusion et qu’il n’est plus possible d’en revenir, sous peine d’être déçu par le réel ? Que faire quand on ne sait pas si l’amour est réel ou tour de magie ?

Les femmes ne sont pas en reste mais manient les réalités et les illusions avec des envies joueuses, surtout Marta, interprétée par la merveilleuse Judith Chemla. C’est un véritable catalyseur du récit et présence fantomatique du film, qui l’infuse par sa disparition et son besoin débordant de se mesurer aux horizons, aux ailleurs, et de connaître le goût de la liberté. Autre présence fantomatique et amoureuse : la sémillante Rebecca Marder complète le casting avec la toujours émouvante Lvovsky dans un rôle de diseuse de bonne aventure finalement plus terrienne qu’il n’y parait.

La Grande Magie, joue avec les codes des débuts de cinéma, avec les influences de Buster Keaton ou Chaplin et même d’Alice Guy. Le résultat, une œuvre énergique tout en affect et en subtilités amoureuses. C’est une lettre d’amour et de confiance aux comédiens, aux magiciens, aux musiciens. Comme souvent chez Lvovsky, faut que ça danse !