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Cannes 2024 : LA JEUNE FEMME A L’AIGUILLE - MAGNUS VON HORN

Copyright Lukasz Bak

Le misérabilisme est un sport de combat

Diffusé le premier jour du Festival de Cannes, le film de von Horn réussit l’exploit d’être déjà le film le plus détestable de la Compétition, la faute à un misérabilisme poseur et creux.

Le pitch était pourtant alléchant, puisqu’il annonçait un film revenant sur un cas d’infanticide danois du début du XXe siècle. L’occasion, peut-être, d’utiliser le moyen de la fiction pour ausculter les motivations du crime sensationnel par excellence, parfois pour le dépouiller de toute charge romanesque et tenter de percer le mystère du passage à l’acte (on pense notamment au Saint-Omer d’Alice Diop, sorti en 2022). Mais ce n’est pas ce que fait La Jeune femme à l’aiguille, le troisième long-métrage du réalisateur suédois Magnus von Horn. Situé dans le Danemark post-première Guerre mondiale, le film nous fait suivre le personnage de Karoline, une veuve de guerre (pense-t-elle), ouvrière dans une fabrique de textile, qui tombe enceinte de son patron avant de se faire répudier. Après avoir tenté de se faire avorter, elle est recueillie par Dagmar, une femme qui dit gérer clandestinement l’adoption d’enfants non désirés.

Magnus von Horn aime le cinéma de Murnau et de Lynch, et il nous le fait savoir. Aux références appuyées à l’expressionnisme allemand se superpose le surréalisme d’Eraserhead et Elephant Man, à commencer par la séquence d’ouverture du film (la plus réussie) qui présente des surimpressions de visages en mouvement, installant d’office une ambiance glauque et très freak. C’est peut-être là qu’aurait résidé la principale qualité du film, s’il ne s’épanchait pas ensuite dans une succession d’esthétisations creuses qui s’articulent vainement avec son récit – notamment pour la thématique des monstres, entre cirques et gueules cassées d’après-guerre, qui tombe à plat dans son ambition de faire écho à la monstruosité du crime.

Car von Horn traite son récit d’infanticide comme il traiterait un faits divers : en se focalisant avec une complaisance malsaine sur la misère absolue de sa victime, enchaînant des scènes choc faussement subversives, sans creuser le sujet même de son film. Lorsqu’il propose, à dix minutes de la fin, un monologue explicatif (et expéditif) de la meurtrière, il est bien trop tard : son public est déjà atterré par deux heures vaines d’étalage de malheurs. Montrer la misère est-il un acte politique ou voyeuriste ? La frontière est certes fine, mais ici, la réponse ne fait pas de doute.

MARIANA AGIER