LA NUIT DU 12 - Dominik Moll
L’arbre qui cache la forêt
Quand une femme meurt, ce sont les hommes qui trinquent. Les films, les livres, les jeux vidéo sont peuplés de féminicides dont la seule fonction est de faire avancer le héros masculin : en proie aux démons intérieurs, il verra en cette perte le début de sa quête de sens/vengeance/réponses (rayer la mention inutile). Le cliché est tel qu’en 1999, des internautes féministes en parlaient déjà et le surnommaient « le trope de la femme dans le frigo » - un clin d’œil à la bande-dessinée Green Lantern, où ledit superhéros découvre sa promise découpée en morceaux dans le réfrigérateur.
La morte peut être la personnification de la pureté, la promesse d’une innocence brutalement confisquée au personnage masculin lorsqu’elle lâche son dernier soupir. Et puis parfois, elle se fait plus retorse, torture les policiers chargés d’enquêter sur sa mort à cause de ses contradictions. Les récits qui la dessinent suggèrent une nature plus perverse, qui redéfinit sa position de victime. Clara, l’héroïne malheureuse de La Nuit du 12, en a, des contradictions, mais par un prodigieux tour de force, elle devient l’anti Laura Palmer. Sa meilleure amie, Nanie, s’en assure en invectivant l’inspecteur qui l’assaille de questions sur la vie sexuelle de Clara.
Dans la veine de toutes les initiatives actuelles qui visent à améliorer le traitement médiatique des féminicides, La Nuit du 12 investit le genre du polar pour mieux le réinventer. Quand Clara est tuée au beau milieu de la nuit, immolée par un homme mystère, l’inspecteur Yohan Vivès ne tombe pas sur une simple affaire de meurtre mais sur tout un système qui légitime les violences sexistes et les rend tabous, invisibles. La démarche est honorable, l’exécution l’est un peu moins par moments, quand Dominik Moll rend un peu trop explicite les intentions de son film. Ces maladresses sont néanmoins tempérées par la crédibilité de son univers porté par un duo de flics à la verve bien aiguisée.
Alors, qui a porté le coup fatal ? La Nuit du 12 donne à expérimenter la frustration et les errances des cold cases. Sa froideur et son verbiage le placent en modeste héritier du Zodiac de Fincher. Conscient de la gravité de son sujet, il ne tombe jamais dans le spectacle de mauvais goût.