Sorociné

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LE RAVISSEMENT - Iris Kaltenbäck

Copyright Mact Productions - Marianne Productions - JPG Films - BNP Paribas Pictures

Maternités en berne

À Cannes, certaines équipes avaient de quoi se faire toutes petites cette année. Celle du Ravissement, au contraire, semblait fière de présenter le premier film d’Iris Kaltenbäck à la Semaine de la Critique. Elle pouvait l’être : d'une réflexion sur la parentalité, ce qui la fonde, la délimite et la dépasse, Kaltenbäck tire un film subtil et moderne, celui d’une réalisatrice à suivre.

La vie de Lydia, sage-femme trentenaire, fait un coude lorsque sa meilleure amie devient maman. Quinze ans d'amitié fracturés comme ça, dans les toilettes d’une boîte de nuit, par un test de grossesse. Le film dit le vertige, la solitude qui s’ouvre puis, sans cynisme, les vains efforts de Lydia pour accompagner son amie Salomé dans la maternité, de peur de rester seule sur le banc des célibataires sans enfant. Il dit tout cela sans trop de mots ; les mots, c’est Milos qui les pose, avec prudence, la prudence imposée par la troisième personne. Car ce que Milos voudrait comprendre, le film ne le dit pas. On ne saura pas à quel point Lydia se persuade de son mensonge, ni comment elle en vient à ces extrémités. C’est d’ailleurs à cela surtout qu’on reconnaît l’influence du Ravissement de Lol V. Stein – à ce renoncement à dépouiller un être de sa vérité. 

Le rapprochement est à la fois inévitable et superflu. Les correspondances n’étouffent pas le film, c’est tout ce qu’il faut savoir. Non, s’il lui faut absolument un jumeau, on le trouvera plus près de nous. Entre les événements du Ravissement et le récit qu’en fait Milos, un procès a eu lieu. Le film n’en montre rien mais l’ellipse est comblée par les images d’un autre film. Images d’une autre femme, debout dans une salle d’audience, sommée elle aussi de rendre compte d’un geste fou. Saint-Omer et Le Ravissement sont comme l’envers l’un de l’autre, né de la même cuisse tragico-sociale, de la rencontre du mythe et du fait divers. Pas la même histoire, pas les mêmes motifs mais un même gouffre de solitude, un affolement commun face à la maternité et deux destins qui se nouent face à la mer. Commun également, le refus marqué de l’hystérie chez Alice Diop et Iris Kaltenbäck. La voie était pourtant facile : filmer la contamination de Lydia par son mensonge ou comment une conscience sort de ses gonds. En prenant le parti inverse, en laissant à Lydia les apparences de la lucidité, Iris Kaltenbäck réussit cette chose extraordinairement difficile qui consiste à raconter raisonnablement la déraison, comme Alice Diop. Inutile de dire que ces nouveaux regards sur la maternité font un bien fou, si désenchantés soient-ils. 

Copyright Mact Productions - Marianne Productions - JPG Films - BNP Paribas Pictures

 Les défauts du Ravissement n’ont pas beaucoup d’importance. On en parlera quand même, un film aussi réussi méritant mieux que l’indulgence réservée aux coups d’essai. On a dit qu’il était maîtrisé, et c’est une vraie qualité, mais la maîtrise et la distance ont ici deux revers. Le premier : il manque à l'ensemble le trait d’audace, le je-ne-sais-quoi d’éclat qui nous aurait subjugué.es. Le second : le film a tendance à faire comprendre des choses qu’on aurait besoin de ressentir. Ainsi des liens qui, joliment décrits par Milos, manquent parfois de corps à l’image. On nous dit que l’amitié de Lydia et Salomé est exceptionnelle de fusion et de complémentarité, mais quelque chose nous retient d’y croire tout à fait. Quant à l’attachement de Lydia au bébé, il est si intérieur qu’on se demande assez tôt si elle ne fait que jouer pour elle-même, par instinct social plutôt qu'en réponse à un élan d'amour, la comédie de la famille unie. Or l’hypothèse, qui serait à l’avantage du film si elle n’était que cela, une hypothèse, nous paraît l’emporter sur les autres. 

CLEMENTINE HORIOT