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LINDA VEUT DU POULET ! - Chiara Malta et Sébastien Laudenbach

Copyright Gebeka Films

Une recette pour se souvenir 

Ce n’est sans doute pas le film qui fera le plus de bruit à Cannes cette année. Parmi la sélection de l’ACID, moins médiatisée, le long métrage d’animation Linda veut du poulet ! est pourtant une pépite d’humour et de sensibilité. 

Paulette souhaite à tout prix se faire pardonner d’avoir puni injustement sa fille Linda. Celle-ci lui fait alors une demande particulière : elle veut manger cette délicieuse recette de poulet au poivron que réalisait son père, décédé deux ans plus tôt. Mais le pays est en grève ce jour-là, et la tâche va rapidement se compliquer. Le titre peu commun de ce long métrage en annonce bien la couleur. En quelques scènes, le spectateur est invité à entrer dans la danse d’un énergique chaos. L’écriture laisse la part belle au comique de situation et aux dialogues vifs, truffant l’histoire de moments très drôles, avec un sens de la narration bien maîtrisé.

Comme par le passé dans le court métrage A comme Azur, les cinéastes centrent leur récit sur l’enfance. Ici Linda, une petite fille de sept ans, mais aussi sa ribambelle d’ami.e.s qui habitent près de chez elle. Très agréablement, les enfants sont écrits comme de vrais sujets, moteurs de l’action et preneurs de décisions (plus ou moins bonnes). Il y a beaucoup de poésie dans cette cité où les adultes sont absents, et l’air semble frémir de cette spontanéité enfantine, qui favorise hasards et accidents. À l’image des jeunes protagonistes, le film déborde de vitalité. Dès la genèse du projet, c’était l’objectif de Chiara Malta et Sébastien Laudenbach, qui ont imaginé leur propre processus de création peu conventionnel. Le son a ainsi été pensé avant l’animation, enregistré en direct avec des comédiens mais sans caméra, en plateau et décor réel. Il a ensuite servi de base pour l’animation, qui s’affranchit de nombreuses fois du réalisme au profit d’une expressivité folle. Le trait du dessin, léger, versatile, accompagne les rebondissements du scénario, alors que les personnages se plient en quatre pour trouver ce fameux poulet et satisfaire la demande de la petite.

L’affolement de l’action dans le scénario, au cours de cette recherche frénétique, cristallise en réalité un moment de rupture dans le quotidien de cette mère qui élève seule sa fille. Derrière cet humour débordant sont traités des sujets plus délicats par les cinéastes pour qui “la comédie est toujours teintée de mélancolie”. Sans lourdeur aucune, des indices clairs pour un regard d’adulte affirment la difficulté de la monoparentalité. Cette recette de poulet tant attendue contraste directement avec les plats surgelés que prépare Paulette, débordée, chaque jour. À travers cette demande, c’est un appel à un retour vers plus de douceur, de chaleur, comme à l’époque où ils étaient trois. L’ombre du père réapparaît à plusieurs occurrences, au fur et à mesure que Linda chemine vers son souvenir traumatique. Avec sa ténacité et son sens de la repartie, elle s’affirme et se construit plus que certains personnages adultes, brouillant de ce fait la frontière entre les rôles.

Si le film bénéficie d’un happy end plutôt facile, où l’équilibre semble restauré par la présence d’une nouvelle figure paternelle, il n’en demeure pas moins un vrai moment de plaisir. Un souffle de liberté, jusque dans le contexte de grève générale où se déroule l’histoire, qui n’est pas sans faire écho à la période actuelle. Avec joie, les limites du possible sont légèrement repoussées : dans Linda veut du poulet !, c’est une horde d'enfants qui fait reculer un escadron de police. 

À ne surtout pas manquer lors de sa sortie en salles prévue le 18 octobre.

LÉA LAROSA