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LITTLE GIRL BLUE - Mona Achache

Copyright Tandem

Réincarner les fantômes

Mona Achache se livre dans un documentaire profondément troublant, où elle cherche à reconstituer le passé de sa propre mère pour comprendre la transmission des douleurs familiales.

Il est troublant de constater comment deux films, cette année, utilisent le même procédé de mise en scène pour redonner vie aux fantômes et donner du sens à l’indicible. En juillet, Kaouther Ben Hania ressuscitait les deux filles disparues d’Olfa Hamrouni dans Les Filles d’Olfa, en engageant des actrices pour rejouer des scènes familiales et chercher un sens à leur départ. En novembre, dans Little Girl Blue, Mona Achache exhume des milliers de photos et d’archives retrouvées après le suicide de sa mère, avec l’aide de Marion Cotillard qui se fond, au millimètre près, dans le personnage de la mère. Deux films où les procédés de la fiction sont engagés pour chercher, inlassablement, des réponses à des questions lancinantes nées de la disparition d’une mère ou de deux filles.

Dans Little Girl Blue, c’est aux archives que Mona Achache cherche à redonner un sens. Les photos s’accumulent par centaines, jointes aux carnets de sa mère, l’écrivaine Carole Achache, et aux archives audio de ses entretiens avec des journalistes ou des intellectuels. Autant de documents qui laissent des trous béants, que la réalisatrice va chercher à combler par la fiction. Elle mobilise alors une multitude de procédés de mise en scène, tous aussi ingénieux et poétiques, pour redonner vie à ces archives et les réincarner à travers la prestation de Marion Cotillard. Ici, c’est la reconstitution d’entretiens, où l’actrice synchronise laborieusement son jeu sur la voix usée de Carole Achache ; là, c’est un portemanteau affublé d’un chapeau qui incarne les hommes absents dans la vie de sa mère et sa grand-mère. Le tout en brisant constamment le quatrième mur, de la même manière que le faisait Kaouther Ben Hania, en faisant des allers-retours entre ce passé reconstitué et la difficulté même de cette reconstitution, pour l’actrice comme pour la réalisatrice.

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Car au centre de la démarche de Little Girl Blue, il y a la volonté acharnée de rompre cette malédiction qui se transmet de mère en fille, celle de la violence des hommes, aussi illustres soient-ils, qui crée un cycle dans chaque génération où la fille cherche à comprendre la douleur de sa propre mère. Avec cette reconstitution des archives, Mona Achache cherche à donner un sens au suicide de sa mère, mais aussi à réparer les non-dits et à clore les questions qui obsèdent après la disparition. La démarche cinématographique a beau être austère, elle est aussi profondément poignante, et culmine dans une scène de face-à-face entre la mère de fiction et la fille réelle, où les pardons sont prononcés et la paix, peut-être, retrouvée.

MARIANA AGIER