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LES ENFANTS DES AUTRES - Rebecca Zlotowski

Ma belle-mère, mes parents et moi 


Paris, la nuit. Rachel, professeure de français, quitte à toute allure sa classe de lycée, le sourire aux lèvres, en scrutant malicieusement son téléphone. Elle court, dévale les escaliers du métro, manque le rendez-vous de son ex et se précipite à son cours de guitare, avant de s’effondrer dans les bras de celui qu’elle aime. Nul doute, Rachel, interprétée par la toujours lumineuse Virginie Efira, est bien l’héroïne du film, mais surtout de sa propre vie. Pourtant, comme le suggère son titre, Les Enfants des Autres, Rachel joue un second rôle : celui de la belle-mère, dont la figure a longtemps souffert de représentations négatives, dépeinte comme acariâtre et cruelle dans la fiction. Pour son cinquième long-métrage,
Rebecca Zlotowski replace au centre de son récit un personnage féminin longtemps relégué au second plan, et lui rend une dignité rarement vue à l’écran. 

Rebecca Zlotowski imprègne le quotidien d’une forme de romanesque. Ali (Roschdy Zem, tout en douceur), et Rachel s’aiment passionnément. Dans la grande maison d’Ali, il y’a une porte qui reste secrète, ornée de lettres colorées ; celle de Leila, 4 ans, fille d’Ali, et par extension, belle-fille de Rachel. La première rencontre, la sortie d’école, la rencontre avec la vraie mère sont autant de scènes ordinaires qui se parent ici d’enjeux existentiels, que Rachel doit affronter malgré elle. Ainsi, Rachel cherche à trouver sa place dans une famille déjà composée, oscillant sans cesse entre le premier et le second plan. Mais toute la force des Enfants des Autres réside dans l’amour inconditionnel porté à ses personnages, jamais manichéens dans leurs actions, qui leur confère une rare authenticité. 

Ce premier pas vers la maternité interroge alors Rachel sur son propre désir d’enfant. Mais à quarante ans, elle est tourmentée par l’urgence du temps qui passe, et dont elle semble spectatrice. La temporalité défile subtilement dans les saisons qui passent et le ventre de sa sœur enceinte qui grossit à vue d'œil. Les fondus au noir viennent clôturer des chapitres de la vie, sur lesquels il lui est désormais impossible d’exercer un quelconque pouvoir, car il est déjà trop tard. Pourtant, loin d’en faire un personnage unidimensionnel, rongé par son désir de maternité, Rebecca Zlotowski fait de Rachel un personnage féminin complexe et interroge avec elle les stéréotypes qui l’accompagnent en tant que femme. Ni mère, ni amante, elle existe par et pour elle-même, à travers la transmission et l’impact qu’elle exerce, sans le savoir, sur les autres. Avec Les Enfants des Autres, Rebecca Zlotowski signe une oeuvre d’une grande délicatesse, universelle, et bouleversante de vérité.