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PETITES - Julie Lerat-Gersant

Petites, un premier grand film

Plongée dans un centre maternel en Normandie à travers le regard de Camille, jeune fille adolescente et enceinte. 

Deux visages collés l’un à l’autre. Comme le yin et le yang, Camille est dans les bras de sa mère Clo, à l’arrière d’une ambulance. Avec une tentative d’avortement ratée, à quatre mois de grossesse, la jeune Camille est placée par une juge familiale en centre maternel. Désormais séparée de sa mère, aimante mais toxique, elle sera bien obligée d’accepter cette grossesse qu’elle n’a pas désiré. Si Petites vaut le coup d'œil, c’est d’abord pour la représentation de ces établissements à vocation sociale, si peu représentés au cinéma, qui pourtant réalisent un travail considérable auprès de jeunes femmes isolées, enceintes ou avec leurs bébés. Ces centres maternels, la réalisatrice Julie Lerat-Gersant les connaît bien. Il y a plusieurs années, la comédienne de théâtre a animé des ateliers d’écriture dans ces établissements. “J’ai été frappée par le mélange désarmant d’adolescence insouciante et de responsabilité parentale”. Marquée par ces rencontres, elle réitère l’expérience dans plusieurs centres maternels. Après une formation scénario à la Fémis, Julie Lerat-Gersant s’attelle à l’écriture de son premier long, Petites. Pour être au plus près de la réalité, elle réalise de nombreuses interviews de jeunes mamans et donne à lire le scénario à des éducateurs, dans une approche quasi documentaire. Marquée par le cinéma d’Agnès Varda et des frères Dardenne, Julie Lerat-Gersant se situe dans leur lignée.

Pour interpréter cette “enfant qui attend un enfant”, la réalisatrice a porté son choix sur l’actrice Pili Groyne, aperçue dans Le Tout Nouveau Testament (2015) et Normandie nue (2018). “J’avais envie que Camille soit incarnée par une comédienne qui ait des traits très poupons, qu’elle ait encore un pied dans l’enfance, mais aussi un pied vers le monde adulte.” Trouvée seulement trois semaines avant le tournage, Pili Groyne incarne avec justesse et innocence Camille, qui passe, en l’espace de 6 mois, de jeune fille vivant dans le déni de sa grossesse, à jeune femme responsable et consciente du schéma à ne pas reproduire. Car sa mère, Clo (Victoire du Bois, toujours excellente), l’a également eue à 16 ans. Sans père dans la balance, Camille et Clo entretiennent une relation pleine d’amour mais toxique. Une fois dans le centre, comme “libérée” de sa mère, Camille se rapproche d’Alison, jeune fille du centre, et de sa fille, la petite Diana. Alison aime sa fille, sujette à de violentes crises d’asthme, mais s’en occupe mal. Mention spéciale à Suzanne Roy-Lerat, fille de la réalisatrice et de son collaborateur artistique François Roy, qui joue Diana, 3 ans mais déjà victime involontaire de l’immaturité de sa mère. Toutes les scènes avec la petite fille sont réussies, pleines d’émotion et de d’innocence, prouvant la compétence de direction d’acteurs de la réalisatrice. Dans une des scènes les plus fortes du film, les jeunes filles de retour de soirée retrouvent Diana en pleurs, qu’elles ont laissée seule dans l’appartement. C’est là que la réalisatrice montre toute la complexité de la situation. Quelle est la bonne solution entre laisser un enfant avec sa mère qui l’aime mais ne s’en occupe pas bien et séparer un enfant qui souffrira de la séparation mais sera mieux traité ailleurs ?

Film solaire et social, Petites se déroule en Normandie, à Cherbourg et à Caen, où vit la réalisatrice. Entre périphéries et plage, jetée et chantier naval, Julie Lerat-Gersant donne à voir une autre Normandie, bien loin des casinos et villas luxueuses. Pas tout à fait teen movie malgré l’espièglerie de ces jeunes filles qui volent des bonbons au supermarché, Petites se situe à la croisée des chemins, comme une rencontre entre Euphoria et l’univers de Ken Loach. Bercées par la musique de Superpoze et par le vent normand, ces petites femmes se révèlent magnifiques malgré la dureté de leur situation. Et rien ne serait possible sans la persévérance de leurs éducateurs. Romane Bohringer, amie de la réalisatrice, incarne Nadine, éducatrice dévouée corps et âme à son métier et à ces jeunes filles, dans un rôle qui lui va à merveille. Ce premier film sonne comme un hymne à ces “petites” filles, plus vraiment enfants de par l’enfant qu’elles portent, pas vraiment adultes non plus. “Elles sont toujours la petite de quelqu’un, comme des matriochkas. Même quand elles sont adultes, elles restent la petite de leur mère. Petites c’est Camille, Diana, Clo, c’est un ensemble de petites humanités.