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PLEASE BABY PLEASE - Amanda Kramer

Une iconographie queer trop bavarde

Fraîchement arrivé sur la plateforme Mubi, Please Baby Please met en scène un surprenant casting dans un OFNI bourré de références mais peu convaincant.

Please Baby Please s’inscrit, dès son premier plan, dans une ambiance qui raisonne agréablement entre les années 1950 et des années 1980, époques berceaux de différentes expérimentations désormais illicites, et montées de nouveaux courants artistiques. Ce n’est pas que caprice esthétique parce le long-métrage s’apprête, effectivement, à tirer ses sujets et inspirations des mutations sociales. 

Un couple, façon Brad et Janet du Rocky Horror Picture Show, est agressé par une bande de voyous. Mais, le traumatisme qui s’inscrit à la suite de cette expérience n’est pas celui attend puisqu’un des voyous (Karl Glusman), jeune, sexy, séduisant, vient troubler leurs vies sexuelles, donnant vie à de nouveaux fantasmes et remises en question. Ajoutons à cela une musique langoureuse et des effets qui lorgnent largement vers le psychédélisme et piochant dans les créations de David Lynch (difficile de ne jamais penser à Twin Peaks). L’ensemble peut être, sur le papier, très prometteur, s’inscrivant entre plusieurs genres, références et utilisant l’iconographie queer à foison. Il y a de la matière et il y a un tas d’hormones bouillonnantes dans le corps des protagonistes. Mais, pour comprendre la vision intérieure du monde des personnages, il aurait fallu que ces derniers existent. 

Andrea Riseborough est géniale (bien qu’on ne comprenne pas trop la direction), utilisant allègrement son visage de façon à le (dé)composer en permanence, maîtrisant les monologues comme personne. Harry Melling est un parfait naïf. Karl Glusman, en revanche, ne convainc pas en bad boy charismatique. Non pas qu’il soit mauvais acteur, ni qu’il ne soit pas charismatique, mais caster Karl Glusman pour un rôle de bad boy est aller à l’encontre de ce que l’acteur dégage naturellement. Et comme rien n’est fait pour trouver un équilibre entre ce que la réalisatrice souhaite et ce que l’acteur peut, par sa nature, apporter en complément, le personnage ne devient même pas l’icône made in Tom of Finland qu’il semble vouloir être dépeinte. Ainsi, le film souffre de la non-incarnation du fantasme qu’il prône. 

L’ensemble demeure bien trop didactique. Il est dommage qu’un cinéma qui se veut aussi visuel et pensé comme des cadres de photographies studio animées, parle autant au lieu de montrer. Amanda Kramer a fait le choix de brouiller les esprits en bavardant philosophie de genre, les paroles passant systématiquement au-dessus des gestes représentés à l’écran. Le film devient trop didactique et beaucoup trop long pour ses 96 minutes, se transformant en objet caricatural, aux poncifs trop arty pour être pleinement pris au sérieux et accepté. Ce qui était novateur dans les années 1960 n’a plus le même effet aujourd’hui.

Finalement, que raconte Please Baby Please ? C’est majoritairement la déconstruction d’une femme, qui accapare la parole (de manière naturellement très symbolique). Mais l’iconographie queer peine à exister, les genres ne sont pas assez exposés pour être finalement brouillés, l’immobilité et le bavardage du film le rendent beaucoup trop lassant.